« On ne peut pas laisser Jordan Bardella s’attribuer la défense de Boualem Sansal. » C’est par ces mots, rapportés par “Libération” le 25 septembre, que Jean-Marie Laclavetine, écrivain et éditeur chez Gallimard, a exprimé le refus catégorique de voir l’écrivain algérien récupéré par l’extrême droite française et européenne. Pour la maison d’édition, qui publie Sansal depuis 1999, sa nomination au prix Sakharov 2025 par le groupe de Jordan Bardella constitue une instrumentalisation nuisible et contraire aux convictions et aux intérêts de l’auteur.
Une candidature instrumentalisée au Parlement européen
Le 9 septembre, le groupe Patriotes pour l’Europe (PfE) – coalition des droites extrêmes au sein du Parlement, dirigée par Bardella – a proposé Boualem Sansal pour le prix Sakharov, plus haute distinction de l’Union européenne en matière de droits humains. Gallimard y a immédiatement opposé un veto clair : « Si ce prix devait lui être attribué via cette démarche, il serait refusé », assure Laclavetine, qui précise s’appuyer sur la parole de l’épouse de l’auteur, seul lien avec l’extérieur depuis sa prison algéroise.
L’interview à “Frontières”, déclencheur de la tempête
À l’origine des déboires judiciaires de Sansal, une interview accordée fin 2024 au média français “Frontières”, classé à l’extrême droite. Dans cet entretien, l’écrivain a abordé le dossier sensible des frontières algéro-marocaines en déclarant que « le Maroc a été spolié de territoires » au profit de l’Algérie, allant jusqu’à qualifier son propre pays de « truc », à la différence d’un Maroc décrit comme un État ancré. Ces propos ont été perçus comme un affront direct à l’unité nationale. Déféré devant la justice, Sansal a été condamné en novembre 2024 à cinq ans de prison.
Gallimard contre le Comité de soutien
La fermeté de Gallimard s’est heurtée au Comité de soutien à Boualem Sansal, lancé à Paris et présidé par l’ancienne ministre Noëlle Lenoir. Ce comité accuse l’éditeur de « parler à la place de l’auteur » et met en doute la liberté de parole de son épouse. Mais Laclavetine maintient que Sansal lui-même rejette tout appui venu du Rassemblement national ou de ses alliés européens : « Boualem a toujours refusé tout embrigadement religieux ou partisan. Le laisser entre les mains de Bardella, c’est le trahir », a-t-il déclaré à Libération.
Un soutien toxique vu d’Algérie
En Algérie, beaucoup voient dans cette manœuvre un piège. L’extrême droite française, perçue comme héritière d’un imaginaire revanchard et colonial, ne défend pas véritablement Sansal mais l’instrumentalise dans son affrontement idéologique. Ce soutien “empoisonné” ne fait que compromettre ses chances, en l’associant à des figures ouvertement hostiles à l’Algérie.
Les propos récents de Noëlle Lenoir sur la chaîne CNews – affirmant que « des millions d’Algériens présentent des risques majeurs » avant de prétendre qu’elle voulait dire « des milliers » – ont renforcé les soupçons d’une instrumentalisation teintée de mépris et de racisme.
L’unique perspective : une grâce présidentielle
Pour Gallimard, l’essentiel est d’éviter une confusion qui ne pourrait que desservir l’écrivain. La seule perspective réaliste de libération reste une grâce présidentielle en Algérie. Or, le soutien tapageur de l’extrême droite française ne fait que rendre cette hypothèse plus lointaine, en alimentant l’image d’un Sansal récupéré par les adversaires historiques de l’Algérie.