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Gouvernement Tebboune : Face à la crise, Bouteflika veut crypter l’affairisme de l’ère Sellal-Bouchouareb

Par Yazid Ferhat 26 mai 2017

Au moment où face à la pression populaire au sud, le gouvernement tunisien esquisse une opération main propre, le président algérien concède le départ d’un attelage coûteux.

 

Le gouvernement de Abdelmadjid Tebboune ressemble furieusement à une combinaison de cabinet Abdelhamid Brahimi (1984-1988) et de gouvernement Belaid Abdeslam (1992-1993).  A la fois une poursuite du statu-quo face au danger socio-économique montant et une tentative gesticulatoire d’éviter l’arrivée du FMI par le recours à l’économie de guerre. A une différence singulière,  le nouveau gouvernement arrive au terme du cycle le plus intense dans l’histoire de l’Algérie d’utilisation discriminatoire et délictueuse du pouvoir politique au service d’enrichissements personnels et d’intérêts privés amis. La désaffection populaire pour le suffrage du 4 mai dernier, encore plus ample que les précédentes, l’a exprimé parmi d’autres réprimandes. Le président Bouteflika ne pouvait pas totalement l’ignorer. Il n’avait pas beaucoup de ressorts politiques à offrir aux Algériens pour l’impulsion de son nouvel exécutif issu des élections législatives du 4 mai. Incapable de renouveler le leadership politique, de faire émerger des profils de réforme, il a concédé au plus urgent: « corriger l’image ultra-délinquante » de l’ère Sellal-Bouchouareb, épicée par le retour en Algérie de Chakib Khelil. Le 31 mars dernier, Maghreb Emergent éditait une analyse intitulée « l’étau se resserre autour de l’affairisme toléré de Abdeslam Bouchouareb ». Le principal critère de lecture du gouvernement de l’après législatives était attendu de ce côté là. Continuité ou pause dans l’appropriation directe de la décision politique à des fins privatives ? La chute du puissant et sulfureux ministre de l’Industrie et des mines ne s’est pas faite sans contorsions. Elle a entrainé le départ de Abdelmalek Sellal, qui ne se voyait pas- selon des sources concordantes – poursuivre sa mission avec un tel fardeau. Entre temps la divulgation par un entrepreneur du sud ouest algérien (Zerouati) d’un méga-scandale aux surfacturations dans le marché des nouvelles aires industrielles  a fini de sceller le sort de Abdeslam Bouchouareb, directement ciblé par le brûlot.

Une tentative brutale de modifier le capitalisme algérien

Le trafic d’influence qui s’est accéléré sous l’ère Sellal-Bouchouareb correspond à la tentative la plus brutale de façonner le capitalisme algérien en faveur du clan politique dominant. La longue période de revenus pétroliers élevés a consolidé cette possibilité luxueuse pour le régime de Abdelaziz Bouteflika de ne plus avoir les classes populaires comme risque politique immédiat  mais la frange de la bourgeoisie entreprenante en Algérie qui affichait des ambitions d’autonomie à l’égard du pouvoir politique. La guerre menait, jusqu’à aujourd’hui, au groupe Cevital, est l’incarnation de ce luxe politique par temps de rareté de capitaux pour soutenir investissements et emplois. L’ère Sellal- Bouchouareb a hâté, depuis 2012-2014,  la modification du rapport de force en affaires principalement au profit du clan présidentiel. Elle a fini de régenter le système de prestations et de production de richesses en Algérie au profit d’anciens amis (ex Groupe Kounineff,) et d’alliés de circonstances (ex Groupe Haddad).  Avec prise directe d’intérêt  au passage. Comme devrait le montrer un jour l’instruction judiciaire de toutes les affaires où est cité le nom de l’ancien ministre de l’industrie.

Panama Papers vs Khalifa Bank

La nomination de Abdelmadjid Tebboune à la tête du gouvernement n’annonce, bien sûr pas, la fin de cet épisode Trabelso-Benaliste  de la rapine d’affaires. Elle tente d’en désactiver les « externalités » politiques les plus nocives par météo pré-houleuse. 2017 est déjà devenue une année socialement dure. Le gouvernement va demander de nouveaux sacrifices aux Algériens en 2018. Il se devait de soigner son image éthique auparavant. C’est partiellement manqué. Abdelmadjid Tebboune  a certes la solide réputation d’un commis de l’Etat intègre. Il traine toutefois le passif de ne pas s’être soumis à la justice dans l’affaire de la faillite frauduleuse de la banque Khalifa ou il a été cité comme témoin.

Il n’a pas cité la moralisation de la vie publique comme priorité de son action. Ce n’est pas ce qu’on lui demande. Tout de même. Abdelmalek Sellal était suspect d’enrichissement personnel durant sa carrière publique à travers plusieurs indices concordant :  le patrimoine parisien de sa fille,  sa détention (sa fille) d’une société domiciliée chez  Mossack Fonseca (Panama Papers) et le partage du même fondé de pouvoir, Omar Habour, que l’inégalable Chakib Khelil, épouse et fils. Indices auquel il convient d’ajouter sa grande et durable tolérance vis à vis de la boulimie de son ministre de l’industrie. Comparé à son prédécesseur, Abdelmadjid Tebboune bénéficie, de ce point de vue, d’un avantage certain pour revendiquer « une marge de manœuvre morale » au clan présidentiel.

Avant de se retrouver devant un Tataouine algérien

Abdelmadjid Tebboune, une combinaison atavique de Abdelhamid Brahimi et de Belaid Abdeslam ? Le premier a trop respecté les lignes rouges de la fin de l’ère Chadli. Il n’a pas pu éviter l’explosion populaire d’octobre 1988. Le second voulait s’attaquer à la corruption pour légitimer les sacrifices sociaux sous étranglement par la dette et éviter de donner des arguments aux maquis islamistes naissants. Il n’a pas pu diffuser le sentiment d’un Etat juste et a échoué à empêcher le passage par la cessation de paiement et l’amplification des violences politiques. Qu’est ce qui peut changer ce scénario écrit de l’illusion Tebboune ? Une irruption de l’acteur populaire dans le champ politique. En Tunisie aussi le gouvernement Chahed est aux prises avec un auto-ajustement financier draconien que n’arrivent plus à supporter les flancs les plus précaires de la société tunisienne. Pour faire face à la dissidence sociale à Tataouine et dans le sud, la force armée n’allait sûrement pas suffire. Le pouvoir tunisien a pensé cette semaine à une opération main propre à usage politique à peine voilé. Il a opéré à l’arrestation d’hommes d’affaires pour corruption. En Algérie, le trafic d’influence est devenu un risque systémique pour la performance économique avant de devenir un fléau civique.  Abdelmadjid Tebboune a encore le temps de s’y attaquer avant de se retrouver devant un Tataouine sismique algérien. Il y’a peu de chances qu’il le fasse. Il échouera encore plus vite à cause de cela.

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