Derrière l’IATF, une fièvre protectionniste menace la naissante Zone de libre échange africaine

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Derrière l’IATF, une fièvre protectionniste menace la naissante Zone de libre échange africaine

Par Samy Injar
5 septembre 2025

La 1ère journée de la 4e édition de l’IATF, la foire du marché interne africain, inaugurée hier jeudi à Alger a été jalonnée par de très nombreux discours de chefs d’Etat, de gouvernement et de ministres. Pourtant le commerce interne au continent ne représente que 220 milliards de dollars et moins de 13 % de l’ensemble des échanges des pays membres. Le plus inquiétant est que sa croissance est en réalité compromise par la fièvre protectionniste qui s’est emparée du continent, en particulier des principales économies en son sein. L’accord de libre échange continental discuté dans le cadre de l’Union Africaine et entré en vigueur en 2021 a du mal à booster le commerce domestique du continent. L’analyse des mesures protectionnistes des pays africains les plus avancés montrent qu’elles ont débuté avant même l’avènement de la ZLEAf mais qu’elles tendent à se durcir en 2025 avec la crise des taxes douanières qui pèse désormais sur le commerce mondiale depuis l’arrivé de l’administration Trump au début de l’année.

Protectionnisme : une marée montante qui contredit l’esprit de la ZLECAf

Depuis 2021, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) ambitionne d’effacer 90 % des droits de douane entre États africains et de s’attaquer aux barrières non tarifaires. Dans les faits, les mesures défensives se multiplient : relèvements tarifaires sectoriels, interdictions temporaires d’importation ou d’exportation, quotas, listes d’accès restreint aux devises, exigences techniques et sanitaires renforcées. Leur logique est souvent la même : protéger l’emploi, préserver les réserves de change, sécuriser l’approvisionnement alimentaire. Leur effet, lui, est clair : renchérir les échanges, créer de l’incertitude réglementaire et saper la prévisibilité dont ont besoin les investisseurs et les chaînes de valeur régionales. Résultat : malgré quelques progrès en valeur, la part du commerce intra-africain dans le commerce total reste faible et peine à décoller durablement.

L’Algérie, hôte de l’IATF  au message ambivalent

Pays hôte de cette 4e IATF, l’Algérie incarne les ambiguïtés du moment. L’adhésion à la ZLECAf ouvre des perspectives évidentes, mais 2025 est aussi marquée par une crispation protectionniste : encadrement serré des importations via licences et procédures, priorités données à la substitution aux importations, contrôles renforcés sur des catégories de biens jugées « non essentielles », et restrictions à l’export sur les produits alimentaires subventionnés pour préserver le marché intérieur. Ces outils, justifiés par la souveraineté économique et la sécurité des approvisionnements, ont un coût : ils découragent des fournisseurs africains potentiels et retardent l’intégration des industriels algériens dans des chaînes régionales. Le défi pour Alger est désormais d’aligner ces politiques avec ses engagements ZLECAf, en privilégiant des transitions sectorielles programmées plutôt que des blocages administratifs prolongés.

Afrique du Sud : défense sectorielle et frictions régionales

Moteur industriel du continent et pilier du libre-échange au sein de la SADC, l’Afrique du Sud a néanmoins relevé ses protections dans des secteurs sensibles. Les hausses de droits sur la volaille importée et l’usage de normes sanitaires strictes ont soutenu des filières locales, mais alimenté des tensions avec des voisins fournisseurs de produits agricoles. S’y ajoutent des mesures de circonstance – comme des restrictions temporaires d’exportation de ferraille pour lutter contre le vandalisme des infrastructures – qui, si elles se comprennent, perturbent les flux régionaux. Pretoria navigue entre leadership intégrateur et réflexes défensifs ; l’arbitrage entre protection ciblée et ouverture demeure fragile.

Nigeria : autosuffisance prioritaire, intégration à pas comptés

Poids lourd démographique et économique, le Nigeria reste attaché à l’autosuffisance et à la substitution aux importations. Listes de produits privés d’accès aux devises officielles, interdictions ciblées, contrôles aux frontières : l’arsenal a été maintenu, parfois durci, au nom de la sécurité alimentaire et de la préservation des réserves en dollars. Si Abuja soutient la ZLECAf dans le discours, la mise en œuvre est contrainte par ces choix de politique intérieure. Pour ses voisins ouest-africains, cela signifie des marchés moins accessibles et des chaînes d’approvisionnement plus coûteuses.

Égypte : contraintes financières et embargos alimentaires ponctuels

La crise de devises de 2022-2023 a conduit l’Égypte à imposer des conditions financières restrictives aux importateurs (recours élargi aux lettres de crédit), avant de desserrer l’étau. Parallèlement, des interdictions temporaires d’exporter des denrées de base ont été décidées pour sécuriser le marché intérieur. Ces mesures, présentées comme transitoires, ont néanmoins freiné des fournisseurs africains et accentué l’incertitude. La reprise passe par une normalisation durable des règles de paiement et par une transparence accrue sur les restrictions d’exportation.

Ce que risque la ZLECAf

Au-delà des droits de douane, la bataille se joue sur les barrières non tarifaires : procédures opaques, normes non harmonisées, contrôles aux frontières, accès au financement du commerce, logistique coûteuse. Tant que ces irritants perdureront, la promesse d’un grand marché africain de 1,4 milliard de consommateurs restera inachevée. La ZLECAf prévoit des clauses de sauvegarde – utiles en cas de choc – mais celles-ci doivent être temporaires, proportionnées et notifiées. Leur usage extensif, à répétition, sape la confiance et ralentit l’investissement productif.

Comment relancer le commerce intra-africain face à la Chine

La fenêtre d’opportunité est réelle : l’Afrique importe massivement des biens manufacturés d’Asie, notamment de Chine. Or une part croissante de ces biens pourrait être produite et échangée à l’intérieur du continent si trois conditions sont réunies. D’abord, discipliner le protectionnisme : planifier des trajectoires de démantèlement sectoriel claires, limiter les interdictions générales au profit d’instruments ciblés (sauvegardes, normes harmonisées), et accélérer le guichet continental de résolution des barrières non tarifaires. Ensuite, investir dans les maillons critiques : corridors logistiques (routes, ports secs, ciel unique africain), interconnexions énergétiques, plateformes industrielles et numériques (e-certificats d’origine, paiements transfrontaliers). Enfin, mobiliser le capital africain : fonds de compensation ZLECAf, banques régionales de développement, marchés de capitaux domestiques et partenariats public-privé pour ancrer des chaînes de valeur (agro-industrie, automobile, pharmaceutique, équipements électriques).

La tempête protectionniste n’est pas une fatalité. Si les grandes économies — Algérie, Afrique du Sud, Nigeria, Égypte, Kenya — donnent le signal d’une ouverture graduée mais crédible, le commerce intra-africain peut retrouver une trajectoire ascendante. L’IATF d’Alger, en mettant autour de la même table décideurs et industriels, offre l’occasion d’un recalibrage : moins de réflexes défensifs, plus de prévisibilité et d’investissement.

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