Au vu de la lecture approfondie des décisions rendues par la Cour constitutionnelle dans l’arrêt n° 02/CC/CS/C/2025 du 16 juillet 2025, il ressort une position globalement conservatrice, formaliste et insuffisamment protectrice des droits fondamentaux. Face à une saisine portée dans un esprit de consolidation de l’État de droit, visant à garantir les principes de légalité, d’égalité, de liberté, de sécurité juridique et de procès équitable, la Cour a validé les dispositions contestées du Code de procédure pénale sans procéder à un contrôle substantiel approfondi de leur conformité aux normes constitutionnelles et internationales.
En s’appuyant souvent sur la marge d’appréciation du législateur ou sur des formulations vagues du droit existant (notamment concernant l’« atteinte à la sécurité de l’État », la « non-pertinence des poursuites », ou les modalités numériques de notification), la Cour a manqué l’occasion de jouer pleinement son rôle de gardienne des droits et libertés, en n’imposant ni encadrement juridique rigoureux, ni garanties procédurales effectives. Ainsi, au lieu de consacrer un droit procédural protecteur et équilibré, elle a entériné des dispositifs pouvant conduire à des dérives arbitraires, à des inégalités d’accès à la justice et à des atteintes aux droits de la défense, affaiblissant de fait la portée concrète de l’État de droit en Algérie.
1e partie : Analyse critique juridique et constitutionnelle approfondie de la décision n° 02/CC/CS/C/2025 rendue par la Cour constitutionnelle le 16 juillet 2025, relative à la constitutionnalité des articles 08 et 652 (alinéas 1 et 2) du Code de procédure pénale :
Sur le contenu de l’article 08
L’article 08 stipule qu’une plainte préalable des organes sociaux des établissements publics à caractère économique (à capital public ou mixte) est une condition nécessaire pour engager l’action publique en matière d’infractions liées à la gestion. Il criminalise également l’abstention de signaler des faits pénalement répréhensibles portant atteinte aux deniers publics de la part des membres de ces organes, en cas de connaissance desdits faits.
La Cour considère que la plainte préalable :
• Ne constitue pas une restriction arbitraire à l’action du ministère public, mais découle de la spécificité des infractions de gestion,
• Représente un mécanisme de protection des gestionnaires intègres, évitant la criminalisation des erreurs non intentionnelles qui peuvent survenir dans un contexte de gestion complexe,
• Ne bloque pas l’action publique de manière absolue, puisque le procureur peut tout de même engager les poursuites si les organes sociaux s’abstiennent de dénoncer les faits. Il s’agit donc, selon la Cour, d’un équilibre législatif.
La Cour ajoute que les organes sociaux, en tant que membres internes et responsables de l’institution, sont les plus à même d’apprécier si un comportement relève d’une faute de gestion ou d’une infraction pénale, ce qui justifie leur implication dans la décision de poursuite.
Réserves interprétatives de la Cour constitutionnelle
Malgré sa validation globale du texte, la Cour émet deux réserves interprétatives importantes :
• Il est nécessaire de faire référence explicitement aux dispositions du Code de commerce pour définir la nature et les missions des organes sociaux concernés,
• Il convient de déterminer précisément ce qu’implique “la législation en vigueur”, afin d’éviter toute interprétation abusive ou floue.
Lecture analytique et évaluation constitutionnelle
•Bien que la plainte préalable constitue une exception au principe général de libre exercice de l’action publique par le ministère public, la Cour la considère comme justifiée par un contexte économique spécifique, visant à encourager l’accès aux fonctions dirigeantes sans entraves excessives.
•Toutefois, cette orientation soulève un débat constitutionnel légitime, dans la mesure où :
•Elle transforme les organes sociaux d’un rôle de contrôle à celui de “passage obligé vers la justice”,
•Elle peut être utilisée comme outil d’obstruction aux poursuites dans les institutions où la gouvernance interne est déficiente ou dominée par des logiques d’allégeance politique ou administrative,
•Elle interroge sur la véritable autonomie du ministère public, surtout dans les affaires sensibles à dimension politique ou financière.
Conclusion
•La Cour constitutionnelle a validé la constitutionnalité de l’article 08, sous réserve de deux clarifications interprétatives visant à assurer la clarté juridique et la répartition des responsabilités.
•Néanmoins, l’efficacité réelle de ce dispositif juridique reste tributaire de l’indépendance des organes sociaux et de leur capacité à signaler librement et de manière transparente les infractions, ce que le texte ne garantit pas explicitement.
•Dans une logique de bonne législation et de respect des engagements internationaux, une révision ultérieure de cette disposition est recommandée afin d’éviter que cette contrainte procédurale ne se transforme en immunité de fait pour les gestionnaires publics, au détriment de la confiance des citoyens dans le système judiciaire.
Contexte général de l’article 652
L’article 652 du Code de procédure pénale exclut la possibilité d’un pourvoi en cassation contre deux catégories de décisions :
1. les décisions de la chambre d’accusation relatives à la détention provisoire et au contrôle judiciaire ;
2. les décisions de renvoi rendues par la chambre d’accusation vers les juridictions de jugement.
La constitutionnalité de ces deux alinéas a été contestée par un groupe de députés, au motif qu’ils portent atteinte au droit au double degré de juridiction et aux garanties d’un procès équitable, au premier rang desquelles la présomption d’innocence et les droits de la défense, tels que garantis par la Constitution et les instruments internationaux.
Analyse du dispositif de la décision de la Cour constitutionnelle
La Cour estime que :
• le pourvoi en cassation ne constitue pas un degré de juridiction, mais une voie de recours exceptionnelle portée devant une juridiction de droit et non de fait, sans ouverture d’un nouveau litige ;
• la décision de renvoi de la chambre d’accusation n’est qu’un acte préparatoire, qui ne tranche pas le fond de l’accusation et ne met pas fin à l’instance ; elle n’entre donc pas dans la catégorie des décisions exigeant des degrés de juridiction ;
• le Parlement est habilité, en vertu de l’article 139 (alinéa 7) de la Constitution, à fixer des limites et des exceptions aux voies de recours ;
• la création d’une cour criminelle d’appel assure un double degré de juridiction en matière criminelle, renforçant ainsi les garanties d’une justice équitable.
En conséquence, la Cour a jugé l’alinéa 2 de l’article 652 conforme à la Constitution.
Observations critiques substantielles sur la décision
Bien que la Cour considère que la décision de renvoi n’est pas un jugement définitif, la pratique judiciaire révèle le contraire :
• la décision de renvoi fixe l’orientation procédurale du justiciable, le faisant passer du statut de « suspect » à celui « d’accusé officiellement renvoyé devant la juridiction de jugement » ;
• elle repose sur des appréciations lourdes relatives aux éléments de preuve et influe directement sur le déroulement du procès ainsi que sur la perception de la culpabilité par l’opinion publique et les juges.
Qualifier cette décision de simple « acte administratif » vide le droit de la défense de sa substance et soustrait une instance juridictionnelle à tout contrôle effectif.
Réduction du contenu du droit au double degré de juridiction
• l’article 165 de la Constitution dispose que « la justice s’exerce à deux degrés » en matière pénale ;
• même si, techniquement, le pourvoi en cassation n’est pas un degré de juridiction au sens plein, il fait partie de l’architecture des garanties de la justice;
• l’interdiction de contester la décision de renvoi peut consacrer un « parcours à sens unique » et empêcher l’accusé de corriger la trajectoire procédurale avant l’ouverture des débats.
La Cour adopte une lecture étroite et fragmentaire de la notion de « degrés » de juridiction, là où une interprétation plus large et protectrice des droits s’imposait.
Méconnaissance des engagements internationaux de l’Algérie
• l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantit le droit à un procès équitable ; restreindre les possibilités de recours peut être interprété comme une réduction de ce droit ;
• l’interprétation restrictive retenue expose l’Algérie à des critiques internationales si l’on étend la privation des justiciables des mécanismes de contrôle juridictionnel.
Absence de contrôle réel sur les pouvoirs de la chambre d’accusation
• en interdisant le pourvoi en cassation contre ses décisions, la chambre d’accusation se trouve, en pratique, soustraite à une véritable reddition de comptes ;
• or la chambre d’accusation n’est pas une juridiction de jugement au sens strict, mais une instance d’instruction : l’absence de contrôle sur ses décisions ouvre la voie aux abus et aux dérives.
Déséquilibre entre les exigences de la législation et l’office du juge constitutionnel
• si la Constitution confère au législateur de larges prérogatives, celles-ci sont bornées par le respect des droits et libertés fondamentaux ;
• la Cour, dans sa décision, n’a pas suffisamment arbitré entre la compétence du législateur et la suprématie des principes constitutionnels, privilégiant une lecture formaliste au détriment de la substance de la justice.
Conclusion et évaluation constitutionnelle générale
• la décision de la Cour constitutionnelle est conservatrice, techniciste et justificative ; elle ne s’élève pas au niveau d’une interprétation protectrice des droits requise de la « gardienne de la Constitution » ;
• en l’état, l’article 652 crée une brèche préoccupante dans les garanties du procès équitable et affaiblit le contrôle de la juridiction suprême sur des étapes déterminantes de l’instance pénale ;
• une révision s’impose afin d’ouvrir une forme de contrôle juridictionnel (fût-il partiel ou exceptionnel) contre les décisions de renvoi susceptibles d’illégalité manifeste ou d’atteintes aux droits de la défense.