Hugh Roberts, éminent universitaire britannique et spécialiste reconnu de l’Algérie, s’est éteint dans la nuit de mercredi dernier dans un hôpital en Angleterre. Il était âgé de 74 ans. Il a lutté durant cinq mois contre une sévère rechute de cancer.
Son décès a suscité une vive émotion parmi ses nombreux amis et collègues en Algérie et à travers le monde.
Roberts a consacré sa vie à l’étude des dynamiques politiques et sociales de l’Algérie, en particulier de la Kabylie, région qu’il connaissait intimement pour y avoir séjourné et enseigné dans les années 1970, notamment à Bouira.
Un parcours académique ancré en Kabylie
Diplômé d’Oxford, Hugh Roberts a entamé sa carrière académique en enseignant l’anglais à Bouira, en Kabylie, dans les années 1970.
Cette expérience a profondément influencé ses recherches ultérieures. Il a ensuite enseigné la politique et l’histoire politique à l’Université d’East Anglia de 1976 à 1988, avant de rejoindre le London School of Economics en tant que chercheur principal de 1997 à 2002. Il a également occupé des postes à l’Université de Californie, Berkeley, et à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de l’Université de Londres.
Roberts a mené des recherches approfondies sur l’Algérie, combinant anthropologie politique et histoire sociale. Son ouvrage majeur, Berber Government: The Kabyle Polity in Pre-colonial Algeria (2014), offre une analyse fine de l’organisation politique kabyle précoloniale, mettant en lumière la richesse des institutions communautaires telles que la jema’a (assemblée villageoise), les structures de délibération, et le rôle de l’honneur dans la régulation sociale. Il y défend l’idée que la Kabylie disposait d’une véritable culture politique autonome avant la colonisation, contredisant les représentations orientalistes d’une société “sans État”.
Dans ses articles, notamment “Co-opting Identity: The Manipulation of Berberism, the Frustration of Democratisation and the Generation of Violence in Algeria”, il explore comment les dynamiques identitaires ont été instrumentalisées par les pouvoirs publics, contribuant à la marginalisation de certaines régions et à l’échec des processus de démocratisation. Cette capacité d’articulation entre recherche historique et analyse politique contemporaine a fait de lui une référence incontournable.
Un acteur engagé dans les affaires internationales
Au-delà du monde universitaire, Hugh Roberts a été sollicité pour son expertise dans les cercles politiques et diplomatiques. En 1994, en pleine guerre civile algérienne, il a conseillé la compagnie BP sur la situation intérieure de l’Algérie. Son évaluation – que l’État algérien tiendrait bon face à l’insurrection islamiste – a été déterminante dans la décision de la compagnie de signer, le 24 décembre 1994, un contrat stratégique avec Sonatrach pour l’exploitation du gisement gazier d’In Salah.
De 2002 à 2007, puis en 2011, il a dirigé le programme Afrique du Nord de l’International Crisis Group basé au Caire. Il y a supervisé de nombreux rapports sur les conflits au Maghreb et au Moyen-Orient, s’imposant comme un analyste rigoureux, respecté des diplomates et des décideurs politiques. Son engagement était celui d’un intellectuel en prise directe avec les réalités du terrain, soucieux de contribuer à une meilleure compréhension des dynamiques de conflits et des conditions de la paix.
Une passion constante pour l’Algérie
En 2012, Hugh Roberts est nommé professeur à l’Université Tufts, aux États-Unis, où il enseigne jusqu’en 2022. Même installé outre-Atlantique, il continue de publier sur l’Algérie, abordant les tensions politiques post-Bouteflika, les défis de la réforme de l’État et le renouveau de la société civile. Ses interventions dans des colloques internationaux et algériens témoignent de son engagement continu.
Au printemps 2024, alors affaibli par la maladie, il confiait à ses proches son désir de retourner une dernière fois en Algérie, ce pays qui a nourri sa pensée, inspiré ses travaux et forgé ses convictions. Sa disparition laisse un vide immense chez ceux qui l’ont côtoyé, mais son héritage reste vivant à travers ses publications, ses élèves, et la profondeur de son regard sur l’histoire et la société algériennes.
Hugh Roberts était plus qu’un universitaire : il était un passeur, un témoin lucide, et un ami sincère de l’Algérie. Que ses écrits continuent de nourrir le dialogue, l’intelligence et la paix.