Malgré un effondrement des cours et une offre mondiale excédentaire, Alger a su sécuriser ses débouchés européens. Mais les contraintes de capacité et la fragilité budgétaire rappellent les limites structurelles du modèle rentier.
L’année qui s’achève aura été celle de tous les paradoxes pour les marchés énergétiques. Alors que le baril de Brent clôturait à 60,64 dollars le 26 décembre, en recul de 18% sur un an, et que les capacités mondiales de gaz naturel liquéfié atteignaient des niveaux historiques, l’Algérie est parvenue à tirer son épingle du jeu. Entre nouvelles découvertes, contrats d’exportation massifs et repositionnement stratégique sur le marché européen, Sonatrach a traversé 2025 en consolidant le statut d’Alger comme sixième exportateur mondial de GNL et pivot méditerranéen incontournable.
Cette performance relative ne doit toutefois pas masquer une réalité plus nuancée. Les capacités productives algériennes demeurent bridées par le vieillissement des gisements historiques, des infrastructures sous-dimensionnées et une consommation intérieure en forte progression. Le “bricolage” budgétaire évoqué par les économistes témoigne d’une équation financière sous tension, que les mesures protectionnistes du ministre des Finances Abdelkrim Bouzred peinent à résoudre.
Un contexte géopolitique favorable, mais des volumes plafonnés
La géographie a joué en faveur d’Alger. La suspension du transit gazier russe via l’Ukraine a fait bondir les prix spot européens autour de 28 euros le mégawattheure en fin d’année, forçant Bruxelles à diversifier ses approvisionnements. Les exportations algériennes par gazoduc vers l’Italie, l’Espagne et la France ont ainsi atteint 32 milliards de mètres cubes, confirmant le premier rang des flux méditerranéens devant la Norvège et la Libye.
À Washington, le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche a ajouté une couche d’incertitude. Sa politique de sanctions énergétiques a entretenu une volatilité des cours, libérant des parts de marché pour le pétrole algérien et africain en Europe.
Sonatrach a su capitaliser sur ces tensions. Le groupe public a signé des contrats à long terme portant sur plus de 700 milliards de mètres cubes de gaz et 560 millions de barils de brut avec des partenaires européens et asiatiques, sécurisant ainsi ses revenus à moyen terme. Treize nouvelles découvertes ont été annoncées entre janvier et août, tandis que les forages atteignaient 466 000 mètres linéaires, un record.
Une offensive diplomatique et industrielle tous azimuts
Le secteur énergétique algérien a connu en 2025 une dynamique sans précédent, avec la signature de sept accords majeurs et le lancement de cinq projets d’envergure, et ce, afin de porter la production de gaz à plus de 200 milliards de mètres cubes par an et réduire la dépendance aux réserves terrestres en intensifiant l’exploration offshore.
Selon la plateforme spécialisée Energy, le grand appel d’offres “Algeria Bid Round 2024” a porté sur cinq sites, avec des investissements de 936 millions de dollars, dont 533 millions pour l’exploration et 403 millions pour le développement. Huit compagnies internationales ont remporté ces licences, parmi lesquelles le consortium Qatar Energy, TotalEnergies et le chinois Sinopec.
Sonatrach a également conclu un contrat de partage de production avec l’italien Eni pour le bloc Zemoul El Kbar dans le bassin de Berkine, pour un investissement de 1,35 milliard de dollars et une production attendue de 415 millions de barils équivalent pétrole. Sur le front offshore, l’Algérie a signé avec l’américain Chevron une étude approfondie pour évaluer le potentiel des réserves maritimes, en préparation d’appels d’offres internationaux prévus en 2026.
L’année 2025 a surtout été marquée par un accord historique avec l’Arabie saoudite. Via la société Midad Energy, Riyad s’est engagé à hauteur de 5,4 milliards de dollars sur une durée pouvant atteindre quarante ans, avec une production attendue de 993 millions de barils équivalent pétrole. S’y ajoute un contrat majeur avec l’égyptien Petrojet, d’un montant de 1,087 milliard de dollars, pour le développement de la deuxième phase du champ de Hassi Bir Rekaiz.
En matière d’énergies propres, l’Algérie a lancé cinq centrales solaires dans le cadre d’un programme national visant à ajouter 3 gigawatts de capacité. La puissance de production d’électricité renouvelable atteint désormais 619 mégawatts. Le projet « Taqati 2 » a été lancé avec un financement de 33 millions de dollars de l’Union européenne et de l’Allemagne. Alger renforce par ailleurs sa position de fournisseur d’hydrogène vert grâce au projet du Corridor sud de l’hydrogène, destiné à couvrir environ 40 % des besoins de l’Union européenne.
Les limites d’un appareil productif vieillissant
Ces succès commerciaux et diplomatiques ne sauraient occulter les goulots d’étranglement structurels. La production d’hydrocarbures est restée stable autour de 193,7 millions de tonnes équivalent pétrole en 2024, soit environ un million de barils quotidiens pour le pétrole et 104 milliards de mètres cubes pour le gaz. Les hausses autorisées par l’OPEP+ demeurent modestes : 4 000 barils supplémentaires en novembre, 11 000 en septembre.
Les grands gisements historiques accusent leur âge. Hassi Messaoud et Hassi R’Mel, qui ont fait la fortune énergétique du pays depuis les années 1960, sont en déclin naturel. Les infrastructures de liquéfaction tournent en deçà de leur capacité théorique : la production de GNL a reculé de 20 % sur les sept premiers mois de l’année, à 5,6 millions de tonnes, avant que Skikda ne redémarre à pleine charge. Le projet de doublement de la capacité d’Arzew, mené en partenariat avec Sinopec, ne produira ses effets qu’à l’horizon 2027.
La consommation intérieure, en hausse de 3 à 5 % par an sous l’effet de l’industrialisation et de la croissance démographique, absorbe une part croissante de la production. La capacité théorique des gazoducs vers l’Europe, estimée à 43 milliards de mètres cubes annuels, reste sous-utilisée faute de volumes suffisants à évacuer.
Le “bricolage” budgétaire comme symptôme
Cette incapacité à augmenter significativement les exportations explique en grande partie les mesures protectionnistes déployées par le gouvernement. Le resserrement des importations, après une hausse sensible au premier semestre, vise à freiner l’érosion des réserves de change, tombées à 47,1 milliards de dollars en octobre contre 59 milliards six mois plus tôt.
L’équation budgétaire demeure périlleuse. Le prix d’équilibre fiscal, estimé à 118 dollars le baril par le Fonds monétaire international, est plus du double des cours actuels. Le déficit public atteint 19,8 % du PIB, et les tampons fiscaux s’érodent à grande vitesse. Certes, Sonatrach a dégagé un bénéfice en hausse de 20 % en 2024, à 812 milliards de dinars, grâce à une maîtrise rigoureuse des coûts. Mais cette performance ne suffit pas à combler le fossé entre recettes et dépenses.
Un marché mondial en surabondance
Le contexte international n’incite guère à l’optimisme. La production mondiale de pétrole a progressé de 3 millions de barils par jour pour atteindre 106 millions, alors que la demande plafonnait entre 103 et 104 millions selon l’Agence internationale de l’énergie. Les États-Unis, le Brésil et le Guyana ont été les principaux moteurs de cette offre excédentaire. L’OPEP+, dont l’Algérie est membre, a légèrement desserré ses quotas en fin d’année, ajoutant 137 000 barils quotidiens en novembre.
Le marché du gaz connaît une évolution similaire. Les investissements dans les capacités de liquéfaction ont atteint des niveaux record, avec 56 millions de tonnes supplémentaires mises en service, principalement aux États-Unis et au Qatar. Cette abondance pèse sur les prix spot en Europe et en Asie, malgré une demande asiatique en hausse de 8 %. Les contrats à long terme, jadis la norme, reculent au profit de transactions au comptant plus flexibles et plus concurrentielles.
Ce qui attend Alger en 2026
Pour Alger, le défi des prochains mois sera double. Il s’agira d’abord de maintenir les recettes dans un environnement de prix bas, en s’appuyant sur les contrats sécurisés et la proximité géographique avec l’Europe. La politique d’équilibre sur le dossier russo-ukrainien, qui a permis de préserver des relations stables avec Bruxelles comme avec Moscou, constitue un atout diplomatique non négligeable.
Il faudra ensuite accélérer la transition énergétique interne. Les projets de récupération assistée, de captage de carbone et le pipeline transsaharien vers le Nigeria (TSGP) pourraient, à terme, débloquer de nouveaux volumes. Le développement du raffinage et de la pétrochimie, censé réduire les importations de produits finis, reste toutefois suspendu à des investissements massifs et à des délais incompressibles.
Sans ces accélérations, l’opportunité géopolitique offerte par le plan REPowerEU et la diversification européenne risque de demeurer sous-exploitée. L’Algérie dispose des réserves et de la position stratégique pour devenir le partenaire énergétique de référence du Vieux Continent. Encore faut-il que l’appareil productif suive.