Dans un mouvement judiciaire partiel récemment approuvé par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, l’un des magistrats réputés de la Cour d’Alger, Ali Haichour — connu pour son traitement des dossiers sensibles à caractère sécuritaire, politique, ou liés à la corruption économique et financière — a été transféré de son poste de président de la première chambre pénale et président du tribunal criminel, vers un poste de conseiller à la Cour de Chlef (à 200 km à l’ouest d’Alger).
Compte tenu du parcours de Haichour et de ses responsabilités dans le traitement des plus grandes affaires de corruption et de crimes sensibles au cours des dernières années, ce transfert apparaît pour le moins surprenant.
Selon les usages judiciaires, le passage d’un juge de la présidence d’un tribunal criminel de la capitale vers un poste de conseiller dans une autre wilaya est généralement perçu comme une rétrogradation, et non comme une promotion, ce qui a suscité des interrogations sourdes dans les milieux judiciaires sur les raisons profondes de cette surprenante décision. Des sources judiciaires ont indiqué au site Maghreb Emergent que le juge Haichour a introduit un recours contre sa mutation d’Alger à Chlef, car il considère cette décision administrative comme une « mesure injuste portant atteinte à son droit à la stabilité ».
Par ailleurs, plus de 80 autres juges auraient également déposé des recours contre leur mutation, en attendant que le Conseil supérieur de la magistrature se prononce, avant la rentrée judiciaire.
Un parcours marqué par les grands dossiers de corruption et de criminalité
Tout au long de sa carrière, le juge Ali Haichour s’est bâti une réputation notable dans les milieux judiciaires en tant que l’un des magistrats les plus compétents d’Alger pour les dossiers complexes.
Il a eu en charge, en effet, les plus grandes affaires issues du pôle judiciaire économique et financier de la capitale.
Cette position l’a mis en première ligne dans les procès de hauts responsables impliqués dans des scandales de corruption ayant défrayé la chronique ces dernières années.
Le jeune juge a notamment statué sur les dossiers liés à la corruption de hauts responsables gouvernementaux, comme celui de Said Bouteflika, frère de l’ancien président, ou encore l’affaire de Taher Khaoua, ancien ministre chargé des relations avec le Parlement, condamné à de la prison ferme pour corruption et abus d’influence.
Il a aussi été en charge du dossier de Nassim Diafat, ministre délégué chargé des microentreprises après 2019, dans la première affaire de corruption de l’ère post-Hirak. Diafat a été condamné à cinq ans de prison en février 2024, mais le procès en appel avait été reporté au 12 mars à la demande de la défense, prolongeant ainsi la décision finale.
En matière de crimes économiques et financiers, le juge Ali Haichour a supervisé plusieurs affaires issues des enquêtes du pôle spécialisé.
Parmi ces affaires figuraient le célèbre dossier Sonatrach, des affaires de trafic douanier impliquant des responsables, ainsi que la « scandale des 701 kg de cocaïne », impliquant l’homme d’affaires Kamel Chikhi (dit « El Bouchi ») et d’autres accusés.
Ces dossiers se sont caractérisés par leur complexité et leurs nombreux renvois, compte tenu de leur ampleur et de leur sensibilité.
Un rôle au-delà des dossiers de corruption : terrorisme et grandes affaires nationales
Ali Haichour ne s’est pas limité aux affaires de corruption financière : il a aussi présidé des procès dans des affaires de terrorisme.
Parmi elles, la réouverture du dossier de l’attaque terroriste contre le complexe gazier de Tiguentourine (In Amenas, 2013), soit près de 12 ans après les faits. Le procès devait se tenir à la cour criminelle de Dar El Beida (Alger), avec des dizaines d’accusés et les témoignages de centaines de personnes, dont des étrangers.
Il a également examiné des dossiers impliquant d’anciens dirigeants du Front islamique du salut (FIS) dissous, ainsi que de grandes affaires liées au Hirak populaire.
Haichour s’est illustré par un précédent dans l’histoire judiciaire algérienne : il a prononcé 49 condamnations à mort dans l’affaire de l’assassinat de Djamel Bensmail, survenu à Larbaâ Nath Irathen en 2021.
Il a présidé les séances de la cour criminelle de Dar El Beida ayant jugé cette terrible affaire, et le 24 novembre 2022, près de cinquante personnes ont été condamnées à mort pour le meurtre, la torture et l’incinération de la victime, en plus de peines de prison à l’encontre d’autres accusés.
Bien que les peines de mort soient suspendues en Algérie depuis des décennies, ce nombre record de condamnations reflète la gravité de l’affaire et le message judiciaire strict adressé aux auteurs.
Un transfert qui interroge
L’annonce du transfert du juge Ali Haichour à la Cour de Chlef n’a été accompagnée d’aucune justification officielle détaillée, et s’est faite dans un communiqué général sur le mouvement partiel des magistrats récemment validé par le président Tebboune.
Selon les informations ayant fuité, ce mouvement a concerné plusieurs présidents de Cours conseils et procureurs généraux dans diverses wilayas, ainsi que des présidents de chambres, comme c’est le cas pour Haichour.
Même si le ministère de la Justice a affirmé que ces mutations visaient à “insuffler une nouvelle dynamique et renforcer la performance du service judiciaire par des compétences reconnues”, le transfert d’un des magistrats les plus en vue de la capitale, conjugué au nombre de recours déposés, soulève de nombreuses questions.
L’homme qui a incarné les procès des plus graves affaires de corruption et de terrorisme se retrouve muté dans une wilaya éloignée de 200 kilomètres, avec un poste hiérarchiquement inférieur.
Durant son mandat à la présidence de la première chambre criminelle, il avait prononcé des jugements fermes à l’encontre de figures autrefois considérées comme “intouchables”. Ses partisans invoquent son rôle central dans la campagne de lutte contre la corruption, où il a contribué à la condamnation et à la récupération de fonds détournés à travers des procès publics.
Entre l’image professionnelle de rigueur que projette Ali Haichour et sa mise à l’écart effective des dossiers sensibles de la capitale, les interrogations demeurent sur les véritables raisons de cette mutation.
Est-ce une simple redistribution des compétences, comme l’indiquent les communiqués officiels ? Ou résulte-t-elle de rapports de force internes au sein de l’appareil judiciaire ou du pouvoir ? Aucune réponse claire pour l’instant de la part des autorités, qui gardent le silence sur ce type de dossier considéré comme “interne”.