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Importations de services : un coût invisible qui pèse lourd dans la balance commerciale

Par Lyas Amara
29 juillet 2025

Alors que les projecteurs restent braqués sur les importations de biens, un autre poste de dépense continue de grever la balance commerciale algérienne dans une relative discrétion : les importations de services. En 2024, elles se sont élevées à 6 milliards de dollars, mobilisant près d’un cinquième des sorties nettes de devises du pays. Transport maritime, ingénierie, logiciels bancaires ou encore consulting : autant de prestations immatérielles souvent invisibles, mais dont la facture est bien réelle.

Une trajectoire en dents de scie (2020-2024)

L’évolution de ces importations au cours des cinq dernières années illustre une tendance instable, marquée par des chocs exogènes et des ajustements politiques successifs.

Évolution des importations de services en Algérie (en Mds USD) :

AnnéeImportations de services (Mds USD)
202012
20214,5
20228,3
20238,7
20246
  • 2020 : En pleine pandémie, la facture atteint un pic de 12 milliards USD, alimentée par le fret d’urgence et la sous-traitance numérique importée.
  • 2021 : Un coup de frein brutal (-62%) avec le gel de nombreux chantiers publics et la relocalisation des prestations.
  • 2022-2023 : La reprise des grands projets énergétiques (raffinerie d’Arzew, offshore, 5G) dope les achats à l’étranger (8,3 puis 8,7 Mds USD).
  • 2024 : Reflux à 6 Mds USD, conséquence de la mise en œuvre du Programme prévisionnel d’importation (PPI) et de l’appréciation du dinar.

Une concentration autour de sept grands donneurs d’ordre

Sept entités concentrent 90% des sorties en devises liées aux services :

RangSecteur / EntreprisePart estiméePrestations clés
1Sonatrach + JV étrangères28%Forage offshore, affrètement GNL, audits HSE
2Sonelgaz & producteurs IPP16%Maintenance turbines, licences SCADA
3Transport & logistique (Air Algérie, CNAN…)14%Leasing aéronefs, classification navires
4Télécoms (Algérie Télécom, Djezzy…)11%OSS/BSS, cybersécurité, cloud
5Banques & assurances publiques9%Core-banking, réassurance, notation
6BTP-infrastructures (Cosider, JV chinoises)8%Engineering, supervision, consulting
7Mines & métaux (Sonarem + partenaires)5%Cartographie 3D, audits ESG

Le solde (9%) est réparti entre agro-industrie, pharmaceutique, santé et évacuations sanitaires.

Pourquoi la facture reste élevée malgré les restrictions ?

Trois raisons structurelles expliquent la dépendance persistante :

  • Verrou technologique : certains savoir-faire (turbines, logiciels bancaires, hydrométallurgie) échappent encore à l’offre locale.
  • Clauses contractuelles : les EPC internationaux imposent souvent que l’ingénierie soit gérée depuis leurs sièges.
  • Capital humain : les profils spécialisés (data science, aéronautique, cybersécurité) manquent cruellement.

Un nouveau tournant réglementaire en 2025

Entré en vigueur en juillet 2025, le nouveau cadre réglementaire, impulsé par le ministre du Commerce extérieur Kamel Rezig, renforce drastiquement l’encadrement :

  • Toute commande de services > 100 000 USD doit désormais être intégrée à un PPI visé par le ministère.
  • Une taxe de domiciliation de 4% et une retenue à la source de 30% s’appliquent systématiquement.
  • Pour les montants supérieurs à 5 M USD, un visa spécial est requis dans les secteurs sensibles (énergie, télécoms).

Objectif affiché : ramener la facture sous les 7 milliards USD annuels et internaliser 30% des prestations d’ici 2030. Mais en l’absence de mécanismes clairs de formation ou de transfert de compétences, les effets à court terme pourraient être contre-productifs : projets bloqués, surcoûts ou contournements administratifs.

Quelles pistes de substitution ?

Les orientations stratégiques reposent sur trois axes :

  1. Clusters de maintenance (turbines, compresseurs) dans l’Ouest pour Sonatrach et Sonelgaz.
  2. Plateformes IT souveraines (cloud, progiciels bancaires) à Boumerdès et Alger.
  3. Ingénierie locale certifiée, via des partenariats entre écoles et majors du BTP.

Des ambitions louables mais confrontées à des défis structurels : manque d’ingénieurs spécialisés, faible attractivité du secteur privé, pénurie de centres d’accréditation reconnus, et faibles incitations fiscales.

Qu’attendre d’ici 2027 ?

La Banque d’Algérie espère stabiliser les dépenses à 6–7 Mds USD par an. Mais cette hypothèse semble optimiste. Trois facteurs pourraient provoquer un rebond :

  • Relance des investissements pétroliers,
  • Accélération de la transition énergétique,
  • Retard dans le développement de l’offre locale.

À l’inverse, une stratégie industrielle intégrée pourrait, selon certaines estimations, dégager jusqu’à 2 Mds USD d’économies annuelles. Mais cela suppose une montée rapide en compétences et des transferts technologiques effectifs — deux conditions encore loin d’être réunies.


Le durcissement réglementaire autour des services importés vise à corriger un déséquilibre structurel et encourager le contenu local. Mais sans réforme de la formation technique, sans incitations robustes au partenariat privé et sans stratégie de montée en gamme, la substitution risque de rester partielle — voire illusoire. Pour l’heure, l’Algérie reste prisonnière d’un paradoxe : limiter la dépendance tout en comptant sur l’expertise étrangère pour mener à bien ses ambitions industrielles.

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