Le président Abdelmadjid Tebboune a présenté dimanche ses orientations économiques lors de sa rencontre annuelle avec les opérateurs économiques, au CIC d’Alger. Son discours révèle une feuille de route ambitieuse pour transformer l’économie nationale, mais qui interroge quant aux leviers de croissance mobilisables et à la faisabilité des réformes annoncées.
L’objectif principal annoncé par Tebboune est sans équivoque : porter le PIB à 400 milliards de dollars d’ici fin 2027. Cette cible représenterait une progression considérable par rapport aux performances actuelles du pays, dont le PIB était estimé à environ 257 milliards de dollars en 2024, selon les données de la Banque mondiale.
“Nous devons tous nous mobiliser, que vous soyez présents ici ou à l’étranger, pour réaliser un PIB de 400 milliards de dollars au plus tard fin 2027”, a déclaré le président, positionnant clairement cet objectif comme le pivot de sa politique économique pour son second mandat et « accéder au statut de pays émergent. »
Industrie à 14% du PIB : le nouveau levier de croissance
Pour atteindre cette transformation économique, Tebboune mise prioritairement sur le développement industriel du pays. “Le développement passe par l’augmentation de la part de l’industrie dans le PIB entre 13 et 14%”, a-t-il souligné, identifiant ce secteur comme le moteur principal de la diversification économique.
Cette orientation marque une volonté de réduire la dépendance historique de l’Algérie aux hydrocarbures, qui représentent encore aujourd’hui plus de 90% des recettes d’exportation du pays. Cependant, le discours présidentiel n’a pas précisé les secteurs industriels prioritaires ni les mesures concrètes pour stimuler cette industrialisation.
Deux nouvelles agences pour remplacer ALGEX
L’un des éléments marquants du discours présidentiel concerne la suppression d’ALGEX (Agence Nationale de Promotion du Commerce Extérieur), organisme historiquement chargé de la promotion des exportations algériennes.
“L’ère d’ALGEX est terminée… vous ne la trouverez plus sur votre chemin à l’avenir”, a annoncé Tebboune, critiquant implicitement l’efficacité de cette institution qu’il a qualifiée de peuplée de “dinosaures”.
En remplacement, deux nouvelles structures seront créées avant fin mai : l’une dédiée à l’organisation des importations et l’autre aux exportations.
Exportations : le plafond de verre des produits algériens
La question des exportations hors hydrocarbures, enjeu important pour la diversification économique du pays, a été abordée avec un mélange de satisfaction et de préoccupation par le président.
“L’Algérie a réalisé le miracle d’exporter 7 milliards de dollars hors hydrocarbures”, a-t-il déclaré, tout en reconnaissant “un certain recul pour des raisons objectives” sans toutefois préciser ces raisons. L’utilisation du terme “miracle” pourrait suggérer que ces résultats dépassent les attentes initiales, mais souligne aussi la difficulté persistante à développer des secteurs exportateurs compétitifs.
Tebboune a par ailleurs critiqué la sous-valorisation de certains produits algériens à l’export : “Exporter des dattes algériennes à 40 dinars vers l’étranger est un crime contre l’Algérie”, illustrant la nécessité d’une stratégie de valorisation des produits nationaux.
Importations réduites de 20 milliards
La réduction des importations constitue une priorité affirmée de la politique économique de Tebboune. Selon ses déclarations, la facture d’importation algérienne serait passée de 60 milliards de dollars “avant le Hirak” à 40 milliards actuellement, soit une réduction de 33%.
“Nous avons réduit structurellement et définitivement la facture d’importation à 40 milliards de dollars, et nous travaillons à la réduire davantage”, a affirmé le président, présentant cette diminution comme un succès durable de sa politique économique.
Cette approche restrictive s’accompagne d’un discours ferme contre l’importation de produits déjà disponibles localement : “Nous tiendrons responsable quiconque importe des marchandises de l’étranger alors que leurs équivalents sont produits en Algérie et stockés dans les entrepôts”. Cette position, si elle peut favoriser la production nationale, soulève néanmoins des questions sur la compétitivité et la qualité des produits locaux.
Guichet unique : la solution miracle au blocage foncier?
L’accès au foncier industriel, obstacle récurrent aux investissements en Algérie, a également été abordé par le président. Tebboune a présenté le “guichet unique” comme “la solution radicale au problème du foncier destiné à l’investissement.”
Le président a pointé une incohérence dans le fonctionnement institutionnel actuel : l’Agence de Promotion de l’Investissement (AAPI) se trouve dans “une contradiction terrible” en enregistrant des projets sans disposer du foncier nécessaire. Cette clarification des rôles suggère une volonté de rationaliser les procédures administratives, mais les modalités pratiques de cette simplification restent à préciser.
Système financier : appel à la création de banques privées
Dans une initiative surprenante pour un chef d’État, Tebboune a directement encouragé les opérateurs économiques à créer leurs propres institutions financières : “Je vous exhorte aujourd’hui à créer vos propres banques privées afin de renforcer votre présence dans l’administration.”
Cette invitation s’accompagne d’une référence explicite à l’économie informelle : “Il y a d’énormes sommes d’argent stockées dans les sous-sols… investissez-les dans la création de banques privées”. Cette déclaration révèle une approche pragmatique face à la réalité de l’économie parallèle, estimée à environ 40% du PIB selon certaines études.
La sécurité alimentaire en chiffres
Le président a également mis en avant des avancées concernant l’autosuffisance alimentaire, enjeu stratégique pour l’Algérie. “Cette année, nous avons économisé 1,2 milliard de dollars et avons atteint une autosuffisance en blé dur de 81%”, a-t-il affirmé.
Ces résultats, s’ils se confirment, marqueraient une progression notable dans un domaine sensible pour la sécurité nationale. Toutefois, le discours présidentiel n’a pas détaillé les mesures spécifiques ayant permis cette amélioration, ni abordé la question de la durabilité de ces avancées face aux défis climatiques.
La feuille de route économique présentée par Tebboune fixe un horizon de transformation structurelle sans précédent pour l’économie nationale. L’objectif de 400 milliards de dollars de PIB d’ici 2027 nécessitera cependant de lever plusieurs contraintes systémiques majeures. L’on citera, entre autres, l’amélioration de la gouvernance économique, la modernisation de l’environnement des affaires, l’augmentation substantielle des flux d’investissements directs étrangers et le développement accéléré du capital humain. Ces variables critiques, identifiées par les économistes comme des freins historiques à la croissance, constitueront les indicateurs clés pour évaluer la progression réelle vers les objectifs macroéconomiques annoncées.
Yasser K.