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Inflation en Algérie et dynamiques globales : diagnostic et feuille de route (Contribution)

Par Abdelrahmi Bessaha, Expert international en économie 2 décembre 2025
Abderahmi Bessaha, expert international en macroéconomie.

Une dynamique inflationniste durable et profondément enracinée impose à l’Algérie une approche macroéconomique, structurelle et sectorielle intégrée.

L’inflation persistante observée depuis plusieurs années ne relève ni d’un choc ponctuel ni d’un simple cycle conjoncturel ; elle traduit des déséquilibres structurels internes : rigidités productives, dépendance aux importations, dollarisation partielle, combinés à des pressions externes liées à la volatilité des marchés mondiaux, aux tensions logistiques et à la fragmentation géoéconomique.

Ces facteurs s’entrecroisent et s’amplifient : l’indexation informelle sur les devises, la vulnérabilité au coût des importations et un régime de change administré aux ajustements incomplets créent une inflation robuste, largement insensible aux outils conjoncturels traditionnels. Dans ce contexte, la maîtrise des prix ne peut reposer sur des mesures isolées. Elle exige une stratégie cohérente fondée sur un meilleur ancrage macroéconomique, la réforme du système de change, la diversification de l’offre productive, la modernisation logistique et l’amélioration du fonctionnement des marchés.

L’inflation apparaît ainsi autant comme un symptôme que comme un révélateur des limites du modèle de croissance actuel. Cette analyse vise à en éclairer les causes profondes et à proposer les orientations nécessaires pour une stabilisation durable des prix et une croissance plus résiliente. Discutons de ces points.

Cadre conceptuel : mesure de l’inflation, anticipations et cadre monétaire. L’inflation ne se limite pas aux variations observées des prix ; elle résulte aussi des anticipations des agents économiques, qui influencent directement la trajectoire future des prix à travers leurs décisions de consommation, d’investissement et de production.

Mesure de l’inflation et limites des indicateurs. L’indice des prix à la consommation (IPC) demeure la référence en Algérie, mais son pouvoir explicatif est réduit par la forte présence de prix administrés, les subventions, l’importance du marché informel et la shrinkflation. L’indisponibilité intermittente de certains biens et la faible actualisation du panier accentuent ce biais. Le déflateur du PIB offre une mesure plus large, mais sa périodicité trimestrielle limite son utilité pour suivre le coût de la vie à court terme.

Anticipations et dynamique inflationniste. Les anticipations jouent un rôle déterminant : lorsque les agents anticipent une hausse durable des prix, ils ajustent salaires, marges, stocks et comportements d’achat, contribuant à entretenir une inflation inertielle. Cette dimension prospective façonne la trajectoire future des prix et conditionne l’efficacité des politiques économiques.

Ancrage monétaire et cohérence macroéconomique

La stabilisation durable des prix repose sur la crédibilité de la Banque centrale et la cohérence entre politique monétaire, cadre budgétaire et régime de change. Un ancrage solide des anticipations renforce l’efficacité des taux directeurs et limite les effets de second tour. A l’inverse, un ancrage fragile — souvent lié à une politique budgétaire expansionniste ou à un manque de transparence — affaiblit la transmission monétaire et augmente le coût social de la désinflation. La restauration de la confiance exige ainsi un cadre macroéconomique prévisible et crédible.

Inflation mondiale : de la désinflation structurelle des années 2000 à la résurgence post-Covid-19 de la mi-2021. Désinflation structurelle après les années 1970. Après la période d’inflation élevée liée à la fin de Bretton Woods et aux chocs pétroliers, les économies avancées ont restauré la stabilité des prix grâce à un resserrement monétaire strict dans les années 1980, puis à l’adoption généralisée du ciblage d’inflation et à l’indépendance accrue des Banques centrales. Combinée à la mondialisation et à la concurrence internationale, cette architecture a durablement ancré les anticipations et conduit à une faible inflation dans les années 2000.

La rupture de 2008 : expansion monétaire et politiques non conventionnelles. La crise financière mondiale a marqué un tournant. Pour éviter la déflation et stabiliser les marchés, les Banques centrales ont recours à des instruments non conventionnels — taux proches de zéro, achats massifs d’actifs, refinancement ciblé et forward guidance. Ces mesures ont étendu le champ d’action de la politique monétaire et installé un environnement durable de liquidité abondante.

La résurgence de 2021 : chocs d’offre globaux et tensions géopolitiques. Cette architecture a été profondément mise à l’épreuve avec la reprise post-pandémie. L’inflation mondiale a réaccéléré sous l’effet combiné de la désorganisation des chaînes de valeur, de la flambée des coûts de transport, de la hausse des prix de l’énergie et des matières premières, et d’une demande élevée soutenue par l’épargne accumulée. L’invasion de l’Ukraine en 2022 a aggravé ces tensions, en générant un choc énergétique et alimentaire mondial.

La réaction tardive puis agressive des Banques centrales. Initialement considérée comme transitoire, l’inflation a été sous-estimée. A partir de 2022, les Banques centrales ont engagé les cycles de resserrement les plus rapides depuis quatre décennies : la Fed a relevé ses taux au-delà de 5%, la BCE a mis fin aux taux négatifs et plusieurs économies émergentes ont durci leur politique monétaire pour contenir la dépréciation de leur monnaie.

Un reflux progressif mais incomplet depuis 2023. Grâce à la normalisation des chaînes logistiques, à la stabilisation des prix de l’énergie et au resserrement monétaire, l’inflation mondiale recule. Elle demeure toutefois supérieure aux niveaux prépandémiques et très hétérogène entre pays : les économies avancées convergent progressivement vers leurs cibles, tandis que de nombreux émergents restent confrontés à une inflation élevée ou volatile.

Un système monétaire sous tension. Cette séquence met en évidence les limites des outils traditionnels face à des chocs d’offre répétés et souligne la nécessité de renforcer les cadres de prévision, la communication des Banques centrales et l’ancrage des anticipations afin de prévenir un nouveau désancrage inflationniste.

Inflation en Algérie : lecture macroéconomique d’un indicateur multidimensionnel. Depuis les réformes de 1994-1995, l’inflation en Algérie ne peut plus être interprétée comme la simple variation d’un indice de prix. Elle constitue un agrégat macroéconomique multidimensionnel : signal de tension d’offre révélant la faible diversification productive, indicateur des distorsions de marché liées aux subventions et aux prix administrés, et mesure de cohérence du cadre macroéconomique, marquée par un écart persistant entre inflation officielle et inflation perçue.

Mécanismes de répression et sous-estimation de l’inflation. Plusieurs dispositifs contribuent à réprimer ou retarder l’ajustement des prix : subventions explicites et implicites, encadrement des marges et de nombreux prix essentiels, écart entre taux de change officiel et parallèle, dollarisation des transactions. Ces mesures atténuent temporairement les tensions sur les prix mais créent une inflation latente, alimentent les marchés informels et fragilisent la discipline budgétaire.

Déficits budgétaires et tensions inflationnistes. Depuis le choc pétrolier de 2014-2015, les excédents budgétaires ont laissé place à des déficits structurels dont le financement monétaire alimente l’expansion de la masse monétaire, la dépréciation du dinar et l’accélération des anticipations inflationnistes. La combinaison déficit structurel – création monétaire – tensions de change forme un cercle macroéconomique adverse, qui renforce la vulnérabilité de l’économie aux chocs externes.

Conséquences économiques et sociales. L’inflation entraîne une érosion du pouvoir d’achat, particulièrement pour les ménages modestes, dont le budget est dominé par les dépenses alimentaires et de logement. Elle incite à la thésaurisation en actifs réels (or, immobilier, devises) au détriment de l’épargne productive, détériore la compétitivité via l’appréciation du taux de change réel et réduit l’attractivité du pays pour les investissements orientés vers les secteurs non hydrocarbures.

ÉVOLUTION DE L’INFLATION EN ALGÉRIE (2000-2025)

Sur la période 2000-2025, l’inflation en Algérie suit une trajectoire marquée par une tendance haussière graduelle, passant d’une inflation faible au début des années 2000 à un régime d’inflation élevée après 2020. L’inflation moyenne sur la période se situe à 4,6%, avec un point bas de 0,3% en 2000 et un point haut de 9,3% en 2022-2023. Cette évolution reflète la montée progressive des déséquilibres macroéconomiques, la dépendance structurelle aux importations et la sensibilité accrue aux chocs externes.

Phase d’inflation maîtrisée (2000-2008) : La période 2000-2008 est caractérisée par une inflation faible et relativement stable, oscillant entre 0,3 et 4,9%. Les facteurs clés : excédents budgétaires élevés, forte disponibilité en devises, stabilité relative du dinar et coût faible des importations.

Montée graduelle de l’inflation (2009-2014) : A partir de 2009, l’inflation entre dans un régime plus élevé, entre 3,3 et 8,9%, avec un pic marqué en 2012. Les déterminants : transmission des chocs alimentaires internationaux, soutien budgétaire massif après 2008 et rigidités structurelles de l’offre domestique.

Inflation moyenne mais volatile (2015-2019) : Entre 2015 et 2019, l’inflation se stabilise à un niveau intermédiaire (4,3-6,4%), mais devient plus irrégulière. Explications : effets prolongés du choc pétrolier de 2014, dépréciation graduelle du dinar, pressions sur les prix importés et déficits budgétaires persistants.

Régime d’inflation élevée (2020-2025) : La période 2020-2025 constitue une rupture majeure, avec un bas niveau temporaire en 2020 (2,4%) suivi d’un envol de l’inflation jusqu’à 9,3% en 2022-2023. Facteurs : pandémie, perturbations logistiques, flambée des prix alimentaires et énergétiques, écart entre taux de change officiel et parallèle, rigidités de l’offre. Bien que l’inflation recule vers 4,0% en 2024 et 3,7% en 2025, elle reste structurellement plus élevée.

L’inflation algérienne apparaît comme un phénomène hybride : importé, monétaire, institutionnel et structurel. Elle reflète la dépendance aux importations, la vulnérabilité du taux de change, la répression des prix et les déséquilibres budgétaires.

Conclusion : L’analyse 2000-2025 montre une dérive progressive du régime d’inflation. Une stabilisation durable exige une transformation du cadre monétaire, budgétaire et structurel.

MODÈLE ÉCONOMÉTRIQUE POUR IDENTIFIER LES DÉTERMINANTS DE L’INFLATION EN ALGÉRIE : PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS

Un modèle linéaire estimé par la méthode des moindres carrés ordinaires sur la période 1999-2025 permet de quantifier les principaux déterminants de l’inflation en Algérie. Les variables explicatives incluent la croissance de la masse monétaire, le prix international du pétrole, le taux de change effectif réel (TCER) et la croissance du PIB réel.

Les résultats confirment plusieurs enseignements.

  • Le taux de change effectif réel constitue le principal canal de transmission, les dépréciations nominales se répercutant rapidement sur les prix domestiques;
  • L’inflation est largement importée, via la facture des importations, les prix de l’énergie et les conditions externes;
  • La masse monétaire joue un rôle secondaire, en raison de la surliquidité, du contrôle des prix et de la faiblesse du mécanisme de transmission monétaire;
  • La croissance du PIB exerce un effet modéré, indiquant une inflation faiblement pro-cyclique;
  • L’inflation n’est qu’imparfaitement expliquée par les seules variables macroéconomiques, ce qui souligne le poids des facteurs institutionnels et structurels.

STRATÉGIE INTÉGRÉE POUR CONTENIR L’INFLATION

La stabilisation des prix requiert une stratégie articulée autour de cinq axes complémentaires.

  1. Ajustement du mix macroéconomique : Il s’agit de maîtriser les dépenses courantes, de recourir à des modes de financement du déficit moins inflationnistes et de calibrer avec prudence le resserrement monétaire pour éviter un freinage excessif de l’activité réelle.
  1. Renforcement de l’offre domestique : La réduction de l’écart entre offre et demande passe par l’amélioration du capital humain, la mobilisation du capital productif et le soutien à la productivité agricole, industrielle et logistique, afin de limiter la dépendance aux importations. Un nouveau modèle de croissance économique.
  1. Modernisation des réseaux de distribution : La réforme des circuits de distribution vise à réduire les positions dominantes, développer les infrastructures de stockage et de transport, mieux organiser les marchés de gros et favoriser l’investissement privé dans la logistique et le commerce formel.
  1. Amélioration de la transmission monétaire : Le renforcement des canaux de transmission suppose une meilleure gestion de la liquidité, la réduction de l’écart entre marchés officiel et parallèle des changes et la modernisation du cadre de change, afin de réduire le pass-through désordonné du taux de change vers les prix.
  1. Révision de la mesure de l’inflation : La mise à jour régulière du panier de consommation, la prise en compte des prix effectifs, l’intégration progressive de certains segments informels et la différenciation régionale des indicateurs sont nécessaires pour aligner l’inflation mesurée sur l’inflation vécue et améliorer la crédibilité des politiques économiques.

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