Entre Washington, Pékin, Moscou et Londres, Alger est en passe de devenir l’objet d’une concurrence stratégique pour l’accès à ses marchés et ressources. La France, partenaire historique, voit son influence contestée.
En l’espace de quelques jours, l’Algérie a vu défiler à Alger des délégations de haut niveau venues des États-Unis, de Chine, de Russie. Entre forums économiques, rencontres ministérielles et négociations discrètes, ces puissances affichent une volonté claire : s’ancrer durablement dans une Algérie en pleine mutation économique, portée par des réformes structurelles et une politique affirmée de diversification de ses partenaires étrangers.
Offensive simultanée des grandes puissances
À Londres, le Forum économique algéro-britannique organisé par l’ambassade d’Algérie a rassemblé près de 200 dirigeants d’entreprises britanniques et algériennes. Sous le slogan « L’Algérie ouverte aux affaires », la rencontre a mis en avant les secteurs stratégiques ciblés : agro-industrie, tourisme, énergies renouvelables, pharmacie, finances et pêche. Ce regain d’intérêt britannique s’inscrit dans une logique post-Brexit de reconquête de marchés en Afrique, selon l’APS.
Dans le même temps, à Alger, le constructeur aéronautique chinois AVIC a présenté ses ambitions industrielles dans les secteurs de l’aéronautique, de la mécanique, des technologies médicales et vertes. Le groupe envisage des projets de production locale, transfert de technologie et intégration industrielle, avec l’appui de partenaires algériens.
La Russie, de son côté, renforce ses positions à travers GEOTECH, groupe spécialisé en exploration géophysique pour les hydrocarbures et les mines. Les discussions avec Sonatrach et Sonarem portent sur des projets de cartographie géologique, d’analyse sismique avancée et de valorisation des ressources nationales.
Enfin, deux géants américains, Chevron et ExxonMobil, sont entrés dans une phase active de négociation avec Alger. Objectif recherché visiblement, mais non évoqué officiellement : développement du gaz de schiste dans la région d’In Salah, un sujet hautement sensible dans l’opinion publique. « Nous avons abordé nos progrès réalisés en matière de production sûre et à faibles émissions, ce qui est à même d’augmenter la production de pétrole, de gaz et d’énergie, mais aussi de protéger l’environnement. En somme, nous avons eu aujourd’hui un échange très constructif », a indiqué John Ardill, vice président d’ExxonMobil, au terme de sa rencontre avec Abdelmadjid Tebboune. Ce responsable a espéré avancer « rapidement dans le projet d’investissement ». Les discussions s’étendent aussi au développement offshore en Méditerranée, à la production d’hydrogène vert et à des investissements dans la transition énergétique.
Des créneaux déjà bien occupés
Au-delà des intentions, ces puissances disposent déjà d’ancrages solides en Algérie.
Les Britanniques sont présents dans les secteurs des équipements médicaux, de la finance, de l’agroalimentaire et des services. Des laboratoires pharmaceutiques britanniques opèrent dans le pays via des joint-ventures locales.
Les Russes, historiquement actifs dans l’armement et l’agriculture, misent désormais sur les ressources minières et la coopération scientifique, notamment dans le domaine nucléaire civil et la formation en ingénierie.
Les Chinois dominent les grands projets d’infrastructure (logements AADL, stades), mais ont aussi investi dans les télécoms, le solaire, le commerce de gros et les usines de production de matériaux. Huawei et ZTE y sont bien implantés.
Les Américains, quant à eux sont présents dans l’énergie, mais également dans l’agroalimentaire.
L’Algérie en quête d’équilibre géopolitique
Cette ruée étrangère n’est pas un hasard. L’Algérie possède des réserves importantes de gaz, de pétrole, de fer, de terres rares et un potentiel immense en énergies renouvelables. Son positionnement géographique entre Europe, Sahel et Méditerranée en fait naturellement une plateforme stratégique pour les chaînes d’approvisionnement mondiales.
Mais cette attractivité repose aussi sur un choix politique recherché par Alger, dans un contexte géopolitique mondial en plein chamboulement : diversifier les partenariats, ne plus dépendre uniquement de l’Europe, et faire jouer la concurrence internationale pour obtenir les meilleures conditions d’investissement.
En misant sur un partenariat « gagnant-gagnant » avec chaque bloc économique, l’Algérie cherche à se repositionner comme un acteur souverain et pivot dans le jeu géopolitique mondial. Washington veut s’assurer une porte énergétique sûre vers l’Europe. Pékin sécurise des débouchés pour ses champions industriels. Moscou tente de consolider ses alliances hors d’Europe. Londres relance une diplomatie commerciale agile.
Face à eux, l’Algérie tente d’apparaitre, ne pas choisir de camp. Elle arbitre. Et dans ce jeu d’équilibriste, elle tente de transformer l’intérêt qu’elle suscite en levier de développement national, en assumant pleinement son rôle de puissance régionale aux ressources convoitées.