« La cour constitutionnelle conservatrice sur le code de procédure pénale » (député yagoubi- suite)

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« La cour constitutionnelle conservatrice sur le code de procédure pénale » (député yagoubi- suite)

Par Par Abdelwahab Yagoubi: deputé auteur de la saisine auprès de la cour constitutionnelle
6 septembre 2025

2e partie : Lecture constitutionnelle approfondie de la décision n° 02/CC/CS/C/2025 rendue par la Cour constitutionnelle le 16 juillet 2025 concernant la constitutionnalité des articles 78, 187 et 188 du Code de procédure pénale

I. Contexte de la saisine

Les auteurs de la saisine ont demandé à la Cour de déclarer les articles 78, 187 et 188 du nouveau Code de procédure pénale inconstitutionnels, au motif que ces articles :

          •        consacrent la possibilité de prolongation automatique de la détention provisoire dans les affaires dites de “crimes graves” ;

          •        portent atteinte au caractère exceptionnel de la détention provisoire, tel que consacré par l’article 44 de la Constitution ;

          •        remettent en cause la présomption d’innocence, protégée par l’article 41 de la Constitution ;

          •        contreviennent aux engagements internationaux de l’Algérie, notamment aux articles 9 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

La Cour constitutionnelle a rejeté ces griefs, estimant que le législateur dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour organiser la détention provisoire et sa prolongation dans certaines circonstances.

Voici des Observations critiques sur le raisonnement de la Cour

Confusion entre pouvoir législatif discrétionnaire et contrôle de constitutionnalité

La Cour commet une erreur en considérant que le simple pouvoir d’appréciation du législateur suffit à justifier la possibilité de prolongation automatique de la détention dans les affaires « graves », sans évaluer la conformité de cette latitude législative avec les principes constitutionnels. Or, la détention provisoire est une mesure exceptionnelle, qui doit être strictement encadrée, et non étendue sur la base de notions vagues comme les « crimes graves ».

Atteinte à la présomption d’innocence (article 41 de la Constitution)

L’élargissement du champ d’application de la détention provisoire, et sa prolongation quasi-automatique, vident la présomption d’innocence de sa substance, car le suspect est traité comme un coupable présumé. Cela transforme la détention en règle, et non en exception, en contradiction avec les articles 38 (liberté individuelle) et 35 (garantie des droits fondamentaux) de la Constitution.

 Violation des normes internationales

L’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques impose le respect de la liberté individuelle et l’interdiction des arrestations arbitraires. L’article 14 garantit à toute personne le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable. Une prolongation automatique de la détention, sans contrôle judiciaire strict, contrevient à ces normes et expose la liberté individuelle à l’arbitraire de l’accusation, sans fondement objectif suffisant.

Problème du flou législatif et de la violation du principe de sécurité juridique

          •        L’expression centrale dans les dispositions contestées est : « crimes graves », une formule vague et non définie juridiquement dans le texte.

          •        Ce flou est contraire au principe de clarté et de prévisibilité du droit, implicitement garanti par l’article 34 de la Constitution, et confère à l’accusation ou au juge d’instruction un pouvoir discrétionnaire excessif, sans garde-fous objectifs.

Absence de justification solide à une prolongation exceptionnelle hors contrôle judiciaire réel

          •        Même dans les cas de « crimes graves », la prolongation de la détention provisoire doit impérativement faire l’objet d’un contrôle indépendant par un juge, fondé sur des motifs précis et circonstanciés.

          •        Le recours à des justifications telles que la « complexité de l’enquête » ou la « gravité des faits » comme motifs généraux de prolongation ne permet pas de concilier convenablement la préservation de l’ordre public et la garantie de la liberté individuelle – un équilibre fondamental que le juge constitutionnel est censé préserver.

 Effets concrets de ces dispositions sur la justice pénale et les garanties constitutionnelles

          •        Ces articles pourraient servir à légitimer la détention prolongée et injustifiée de milliers de citoyens, surtout dans un contexte marqué par la lenteur judiciaire.

          •        Ils consacrent en pratique une logique de sanction anticipée, incompatible avec les fondements modernes de la justice pénale, notamment la présomption d’innocence et le respect des droits de la défense.

Conclusion et recommandation

•        La décision n° 02/CC/CS/C/2025 échoue à garantir la suprématie des principes constitutionnels, en justifiant les textes contestés par la seule discrétion du législateur, sans une vérification rigoureuse de leur compatibilité avec les normes constitutionnelles et internationales.

•        Les articles 78, 187 et 188, dans leur version actuelle, enfreignent les principes de présomption d’innocence, d’égalité procédurale, de liberté individuelle, et manquent de garanties procédurales suffisantes.

•        Par conséquent, une révision législative urgente s’impose pour :

•        garantir la protection des libertés individuelles ;

          •        assurer une justice équitable ;

          •        prévenir toute instrumentalisation de la détention provisoire comme moyen de pression ou de sanction anticipé

3e partie Lecture juridique et constitutionnelle de la décision n° 02/CC/CS/C/2025 de la Cour constitutionnelle en date du 16 juillet 2025, notamment en ce qui concerne l’article 49 du Code de procédure pénale relatif à l’interdiction de sortie du territoire national (ISTN) :

 Contexte de la saisine

Le recours a été introduit par 45 députés, représentés par le député Abdelouahab Yagoubi. Ils ont contesté plusieurs articles du nouveau Code de procédure pénale, en particulier l’article 49, au motif qu’il violerait la Constitution de 2020 ainsi que les engagements internationaux de l’Algérie en matière de libertés fondamentales.

L’article 49 confère au procureur de la République, sur proposition d’un officier de police judiciaire, le pouvoir d’interdire à toute personne soupçonnée d’avoir commis un crime ou un délit de quitter le territoire national. Cette interdiction peut durer 3 mois, renouvelable une fois, ou jusqu’à la fin de l’enquête pour certaines infractions (terrorisme, atteinte à la sûreté de l’État, corruption).

Voici l’analyse de la décision de la Cour constitutionnelle :

Sur la nature du procureur de la République

La Cour considère que le procureur de la République est une autorité judiciaire, et que la mesure d’interdiction de sortie du territoire national, en tant que mesure provisoire, est conforme à l’article 49 de la Constitution.

Problème fondamental :

En pratique, et selon la doctrine comparée (Cour européenne des droits de l’homme, Conseil constitutionnel français, Cour de justice de l’Union européenne), le procureur n’est pas une autorité judiciaire indépendante, car il est soumis à l’autorité du ministre de la Justice et fait partie du pouvoir exécutif, notamment dans le système juridique algérien.

Ainsi, confier à une autorité nommée par l’exécutif le pouvoir de restreindre une liberté fondamentale comme celle de circuler, pose un problème majeur en termes d’indépendance de la justice, de séparation des pouvoirs, et de contrôle juridictionnel effectif.

 Sur la qualification juridique de la mesure ISTN

La Cour considère cette mesure comme une simple décision provisoire, liée à l’enquête préliminaire, et estime qu’elle respecte le principe de proportionnalité.

Réponse :

L’interdiction de sortie du territoire n’est pas une mesure anodine, mais bien une restriction directe à un droit fondamental, garanti par :

          •        l’article 49 de la Constitution algérienne,

          •        l’article 12, paragraphe 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par l’Algérie.

Selon la jurisprudence internationale (notamment du Comité des droits de l’homme des Nations Unies), une telle restriction ne peut être décidée que par une autorité judiciaire indépendante et impartiale, sur la base d’un fondement légal clair, pour une durée strictement limitée, ce qui n’est pas garanti par l’article 49 contesté.

Sur l’absence de contrôle juridictionnel effectif

La Cour se limite à mentionner que le procureur peut lever la mesure d’interdiction de sa propre initiative ou à la demande de la personne concernée, sans prévoir de contrôle juridictionnel obligatoire.

Violation constitutionnelle manifeste :

L’absence de soumission obligatoire à un juge indépendant constitue une faille grave dans les garanties d’un procès équitable, contraire :

          •        à l’article 165 de la Constitution, qui garantit un droit de recours juridictionnel effectif,

          •        aux principes fondamentaux d’un procès équitable,

          •        aux normes internationales, notamment l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, garantissant un recours effectif.

Il n’est pas admissible de restreindre une liberté individuelle (liberté de circulation) sans contrôle judiciaire indépendant, même si la mesure est motivée.

Sur la prolongation automatique pour certaines infractions

La Cour valide la possibilité de prolonger l’interdiction de sortie du territoire jusqu’à la fin de l’enquête pour les infractions dites “graves”.

 Risque de dérive :

L’expression “jusqu’à la fin de l’enquête” est floue et non limitée dans le temps, ce qui contrevient au principe de proportionnalité inscrit à l’article 34 de la Constitution, et ouvre la voie à une privation indéfinie de liberté, sans contrôle réel.

Le principe de clarté et de prévisibilité de la loi, exigé à la fois par la Constitution et par le droit international, n’est pas respecté dans ce cadre.

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