La culture du caroubier en Algérie : un potentiel encore inexploité

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La culture du caroubier en Algérie : un potentiel encore inexploité

Par Djaffar Ouigra
20 juillet 2025

Dans un contexte où l’Algérie cherche à réduire sa dépendance aux hydrocarbures et à diversifier son économie, la culture du caroubier émerge comme une filière agricole à fort potentiel. Longtemps ignorée, cette ressource méditerranéenne ancestrale pourrait devenir un levier majeur pour l’exportation, la création d’emplois ruraux et la lutte contre la désertification. L’exemple inspirant de Caruma, une entreprise algérienne basée à Tlemcen, prouve qu’un modèle rentable, durable et accessible est possible. Pendant ce temps, l’Espagne, premier exportateur mondial, en tire chaque année plusieurs millions de dollars.

Le caroubier est un arbre typiquement méditerranéen, rustique, résistant à la sécheresse et parfaitement adapté aux sols du nord algérien. Des régions comme Tlemcen, Aïn Témouchent, Tipaza, Chlef, Bejaïa ou Skikda offrent des conditions idéales pour son développement. Il pousse facilement sur des terrains en pente, même pauvres, sans nécessiter d’irrigation intensive ni de produits phytosanitaires. De plus, il joue un rôle environnemental essentiel.

Malgré ce potentiel agronomique, l’Algérie reste largement absente du marché mondial de la caroube, estimé à plus de 315 millions USD en 2024. La production nationale demeure artisanale, éparse et peu structurée. Pourtant, le caroubier offre de nombreux débouchés : ses gousses sont transformées en poudre alimentaire, en mélasse, en gomme (épaississant), en extraits naturels ou encore en compléments alimentaires et substituts du cacao. Autant d’usages qui séduisent désormais une clientèle mondiale en quête de produits sains, sans gluten ni caféine.

Caruma : la preuve par l’action

Au cœur de la wilaya de Tlemcen, l’entreprise Caruma — portée par le groupe familial Boublenza/Prodalex — a su transformer la caroube en or brun. Forte d’un savoir-faire artisanal ancré dans la tradition et d’une capacité industrielle maîtrisée, elle a construit un modèle économique performant en quelques années seulement. Depuis 2016, la société a développé une chaîne intégrée : plantation, récolte, concassage, extraction, emballage, commercialisation. Résultat : des produits 100 % naturels, transformés localement et exportés avec succès vers des marchés internationaux.

Contrairement à d’autres filières agricoles, la culture du caroubier ne nécessite pas de lourds investissements initiaux. L’expérience de Caruma prouve qu’un montage agile, à partir de capitaux internes, peut suffire pour lancer et développer une activité rentable. L’implantation de 100 hectares de caroubiers par Boublenza SARL s’est faite progressivement, avec l’objectif d’atteindre 1 000 hectares à court terme et plusieurs millions d’arbres d’ici 2030. Ce projet ambitieux va de pair avec un impact environnemental et social fort, notamment en matière de reboisement et de création d’emplois en zones rurales.

Caruma ne s’est pas contentée de produire : elle a su convaincre. En 2023, l’entreprise a remporté la médaille d’or au concours Djaz’Innov, puis a été sacrée meilleur exportateur hors hydrocarbures d’Algérie. Ces récompenses confirment la qualité technique et la pertinence commerciale de ses produits. Son réseau logistique, basé sur des circuits courts et des relais dans chaque wilaya, garantit réactivité, traçabilité et proximité avec la clientèle.

L’Espagne : exemple et concurrent

En 2024, l’Espagne a produit environ 19 000 tonnes de caroube, soit 16 % de la production européenne. Près de 13 000 tonnes ont été exportées, générant un chiffre d’affaires de 6,5 millions USD. L’Espagne détient actuellement 35 % du volume mondial exporté, avec un prix moyen de 483 USD la tonne. Sa principale clientèle se trouve en Italie, Suisse et au Portugal.

Pour autant, l’Espagne ne valorise pas encore pleinement sa caroube : la transformation reste limitée et le chiffre d’affaires plafonne. Cela montre que, même parmi les leaders, tout le potentiel de la filière n’est pas épuisé. Pour l’Algérie, dotée d’un immense territoire adapté, le champ des possibles reste donc largement ouvert.

Les dernières études indiquent que la demande mondiale de caroube (gousses, poudre, gomme, extraits) augmente de 2 à 3 % par an. Le marché européen représente à lui seul 94,7 millions USD. Certains segments à forte valeur ajoutée comme la gomme raffinée (« Carob Bean Gum ») atteignent plusieurs millions USD chaque année, avec un taux de croissance annuel moyen de +6 %. Cette dynamique est portée par l’industrie agroalimentaire, la cosmétique et les produits diététiques naturels.

L’histoire de Caruma démontre qu’il est possible de bâtir un modèle exportateur à partir d’une filière oubliée. En combinant tradition locale, savoir-faire industriel et logique durable, l’entreprise tlemcénienne a su créer un produit exportable, sain et à forte image. Elle prouve aussi qu’il n’est pas nécessaire de disposer d’un partenaire étranger ou de millions d’euros pour réussir : un bon produit, une stratégie lisible, un réseau de production maîtrisé et une vision à long terme suffisent souvent.

L’Algérie peut devenir un acteur majeur

Avec ses centaines de milliers d’hectares potentiellement exploitables, ses compétences agricoles, son marché local à développer et son accès aux marchés africains et européens, l’Algérie a tous les atouts pour devenir un acteur majeur dans la filière caroube. En s’appuyant sur des exemples concrets comme Caruma, elle peut initier un programme national structuré, encourager les plantations à grande échelle et favoriser la transformation locale.

Il est temps de sortir cette culture de l’ombre, de l’envisager comme un secteur stratégique et d’en faire un atout clé pour la souveraineté alimentaire, le développement durable et l’exportation.

La caroube n’est pas seulement un sous-produit ou une réponse locale à la crise du cacao : c’est un véritable secteur d’avenir. Le succès espagnol prouve que, même sans des volumes industriels colossaux, la valorisation intelligente d’une ressource endémique permet de générer 6 à 7 millions USD chaque année, principalement à l’export. La croissance mondiale de la filière incite à investir dans les dérivés à forte valeur ajoutée (gomme, extraits, émulsifiants naturels, farines).

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