Le Conseil des ministres, présidé dimanche par Abdelmadjid Tebboune, a examiné l’avancement de plusieurs projets stratégiques nationaux. Au menu des discussions figuraient notamment la réduction des délais d’attente portuaires, le déploiement de la fibre optique et la gestion de la consommation énergétique. Mais derrière ces sujets d’actualité se dessine une problématique plus profonde concernant l’exécution effective des projets.
Le chef de l’État a fixé des échéances précises pour plusieurs installations industrielles clés. La cimenterie d’Adrar, récupérée dans le cadre des procédures anticorruptions, doit être remise en service “avant fin mars 2025”. Cette même date butoir s’applique au “parachèvement de toutes les étapes techniques” de la cimenterie de Djelfa. Quant à l’usine de trituration des graines oléagineuses de Jijel, elle doit être opérationnelle “avant fin mai”.
Ces directives présidentielles, formulées sur un ton d’urgence, interviennent alors que ces projets accusent déjà des retards considérables par rapport à leur calendrier initial.
Le Conseil a également abordé l’évolution de la consommation intérieure de gaz et de produits pétroliers. Le président a souligné “l’importance de la démarche prospective et de la rationalisation”, tout en appelant à investir dans “les énergies nouvelles telles que l’hydrogène vert et l’énergie solaire”.
Sur le front numérique, le programme de généralisation du réseau de fibre optique a été présenté comme “un indicateur positif témoignant de l’amélioration du niveau de développement”. Le président s’est félicité que l’Algérie produise désormais ses propres fibres optiques.
Un bilan contrasté avec la réalité du terrain
Ces annonces contrastent toutefois avec la situation observée dans plusieurs secteurs clés de l’économie en Algérie. En matière de logement, une réunion tenue le 11 janvier 2025 au ministère de l’Habitat a révélé les dysfonctionnements du programme AADL. Si le directeur général, M. Riad Kamdani, a mis en avant les programmes livrés aux dates prévues (5 juillet, 1er novembre et 31 décembre 2024), l’existence de “retards imprévus” a nécessité l’émission d’instructions fermes pour achever ces chantiers avant la fin du premier trimestre 2025.
Le cas de Réghaïa démontre ces défaillances qualitatives. Les 250 logements en construction dans cette commune de Rouiba, à Alger, présentent des problèmes de non-conformité suffisamment graves pour justifier la résiliation immédiate des contrats avec l’entreprise de construction et le bureau d’études responsables. Des poursuites judiciaires ont même été engagées pour “réparer les dégâts causés”.
Pendant ce temps, le ministère annonce un ambitieux programme AADL 3 prévoyant 200 000 nouvelles unités de logement à travers le territoire national, ce qui suscite des doutes sur la capacité à gérer efficacement cette expansion alors que les projets existants peinent à être livrés dans les délais et selon les normes requises.
Des équipements publics en attente et des wilayas pointées du doigt
Le bilan des équipements publics reste préoccupant. Seuls 583 équipements sur 830 programmés ont été réalisés en 2024, soit un taux de 70%. Face à ce retard, le ministre Mohamed Tarek Belaribi a ordonné le lancement des 247 équipements restants “avant la fin du premier trimestre 2025”, tout en annonçant 224 nouveaux projets pour l’année 2025.
Plus révélateur encore, le ministre a identifié 24 wilayas accusant des retards significatifs, parmi lesquelles figurent des pôles économiques importants comme Alger, Oran, Constantine et Blida.
Le fiasco des pénétrantes autoroutières
Les sept projets majeurs de pénétrantes autoroutières lancés il y a dix ans révèlent l’étendue de la crise d’exécution des infrastructures. La pénétrante de Jijel, promise en trois ans lors de son lancement en 2014, plafonne à 50% de réalisation après une décennie. L’objectif désormais fixé à 2026 représente un retard colossal de neuf ans, avec des conséquences directes sur l’activité économique régionale.
La pénétrante de Béjaïa, malgré 84 kilomètres réalisés, voit ses 16 derniers kilomètres – pourtant cruciaux pour la liaison avec le port – enlisés dans des retards inexpliqués. Les opérateurs économiques locaux estiment les pertes à “plusieurs millions de dinars par mois”.
La situation de la pénétrante Tizi Ouzou-Bouira est particulièrement préoccupante. Si la complexité du relief est régulièrement invoquée pour justifier les retards, elle ne peut masquer les insuffisances flagrantes dans la préparation technique du projet, pénalisant le développement économique de la Kabylie.
Des mesures correctives qui questionnent la gouvernance initiale
Face à ces défaillances systémiques, les autorités ont déployé un arsenal de mesures correctives, entre autres, redistribution des chantiers à de nouvelles entreprises, renforcement des contrôles de qualité, établissement de responsabilités claires et mise en place d’un système de suivi mensuel.
L’implication tardive d’entreprises nationales “ayant fait leurs preuves” et le plafonnement des augmentations budgétaires à 10% du montant initial des marchés apparaissent comme des tentatives de limiter les dégâts, sans garantie d’efficacité pour des chantiers accusant parfois près d’une décennie de retard.
La récurrence de ces mesures amène à se questionner pour la énième fois sur les critères de sélection initiaux des prestataires et révèle l’absence troublante de mécanismes de contrôle efficaces durant des années.
Yasser K.