La loi de finances 2026, adoptée le 18 novembre par le parlement, lève les blocages juridiques qui empêchaient l’émission de sukuk souverains. Le Trésor pourra désormais adosser ces titres islamiques au domaine privé de l’État pour financer le déficit budgétaire. Une entrée tardive sur un marché qui pèse déjà 205 milliards de dollars d’émissions annuelles.
Les sukuk algériens existent sur le papier depuis 2019. La loi sur les hydrocarbures puis la loi de finances 2020 les avaient créés, mais aucune émission n’avait suivi. La raison était simple : le cadre juridique restait inapplicable. Les sukuk ne pouvaient être adossés qu’au domaine public de l’État, par nature inaliénable et donc impossible à mobiliser pour garantir des titres financiers.
La loi de finances 2026 met fin à cette impasse. Le texte autorise désormais le Trésor à adosser les sukuk au domaine privé de l’État : terrains, immeubles, participations publiques, infrastructures productives. Le changement paraît technique, mais il est décisif. Sans actifs mobilisables, pas d’émission possible. Avec cette modification, les sukuk deviennent un outil opérationnel.
La loi de Finances 2026 va plus loin en permettant d’adosser ces titres à des opérations d’investissement public. Concrètement, le Trésor pourra financer des projets d’infrastructures en émettant des sukuk garantis par les revenus futurs de ces projets. Les investisseurs ne percevront pas un intérêt, mais une part des revenus générés par l’actif sous-jacent, conformément aux principes de la finance islamique.
Un régime fiscal incitatif pour lancer le marché
Le texte ne se limite pas à débloquer le cadre juridique. Il instaure aussi un régime fiscal destiné à attirer les investisseurs. Les produits et plus-values tirés des sukuk souverains seront exonérés d’IRG et d’IBS pendant cinq ans, pour toutes les émissions réalisées entre 2026 et 2030 et ce, pour rendre ces titres compétitifs face aux bons du Trésor classiques.
Le principe d’endossement est également élargi. Les sukuk pourront être échangés librement entre investisseurs, ce qui devrait favoriser l’émergence d’un marché secondaire. Sans cette possibilité de revente, les titres resteraient peu liquides et donc peu attractifs.
Ces dispositions figurent dans les articles 101, 145, 147, 149 et 150 du PLF 2026. Elles s’inscrivent dans une logique de diversification des sources de financement public. Le Trésor dispose déjà de plusieurs leviers, à savoir émission de bons classiques, prélèvements sur les entreprises publiques et garanties de partenariats. Les sukuk s’ajoutent à cet arsenal, offrant un moyen de lever des fonds sans recourir à l’endettement conventionnel.
Un marché mondial de 205 milliards de dollars
L’Algérie arrive sur un marché mature. Selon le dernier rapport de l’IIFM, les émissions mondiales de sukuk ont atteint 205 milliards de dollars en 2024. La Malaisie, l’Arabie Saoudite, l’Indonésie et les Émirats dominent ce marché depuis des années. Depuis 2001, le volume cumulé dépasse les 2.200 milliards de dollars.
Le retard algérien est significatif. Le Maroc a lancé ses premières émissions souveraines en 2018. L’Arabie Saoudite recourt massivement aux sukuk depuis 2016 pour financer ses infrastructures. La Malaisie en a fait un pilier de sa stratégie budgétaire depuis les années 2000. Quarante-deux juridictions émettent désormais des sukuk dans 32 devises différentes.
Les structures Wakala et hybrides dominent aujourd’hui les émissions. Ces montages permettent d’adosser les titres à des actifs réels tout en garantissant une rémunération aux investisseurs. Les cadres réglementaires sont rodés, les agences de notation ont développé des méthodologies spécifiques.
En 2024, les émissions internationales de sukuk ont totalisé 65,6 milliards de dollars, en hausse de 24% par rapport à 2023. Les conditions de liquidité mondiale se sont améliorées et les coûts de financement ont baissé.





