Subventionné et étroitement encadré par l’État – 120 milliards de dinars avec l’huile au budget de 2024 – le sucre concentre régulièrement en Algérie les tensions d’un marché sous pression, à l’instar de l’huile. Face à une filière devenue instable, le Conseil des ministres a validé hier la création d’un Office national du sucre, censé en réguler les flux. Cette annonce intervient dans un contexte de surproduction alimentée par des décisions politiques prises au lendemain des émeutes de janvier 2011. À l’époque, pour briser le quasi-monopole de Cevital, l’État avait encouragé l’émergence de nouvelles raffineries. Résultat, quinze ans plus tard, le pays se retrouve avec une offre excédentaire et des équilibres à repenser.
Une capacité de production excédentaire
La consommation nationale de sucre avoisine aujourd’hui 1,3 million de tonnes, avec une progression annuelle estimée à 2 %. Pourtant, les capacités industrielles dépassent déjà les 3 millions de tonnes, et de nouvelles unités doivent encore entrer en production. Cevital domine le marché avec plus de 2 millions de tonnes issues de son complexe de Bejaïa. Mais d’autres groupes ont consolidé l’offre, à l’image de Tafadis (Madar Holding), dont l’unité de Larbatache produit 660 000 tonnes, ou de GRD LaBelle, associé au français Cristal Union, qui affiche une capacité de 300 000 tonnes à Ouled Moussa.
D’autres projets, comme celui de Madar à Ouargla (450 000 tonnes), accentueront encore la surcapacité structurelle. Si cette montée en puissance s’inscrit dans la stratégie de diversification industrielle initiée en 2011, elle pose aujourd’hui un dilemme : comment conjuguer autosuffisance stratégique et viabilité économique dans un marché saturé ?
Exportations : une voie étroite
Pour écouler ses excédents et éviter l’effondrement des prix, l’Algérie cherche à accélérer ses exportations. En 2024, les ventes de sucre ont atteint 220 millions de dollars, pour un volume de 360 000 tonnes, selon les données du commerce extérieur. Les principaux débouchés se trouvent en Mauritanie et au Liban, deux marchés géographiquement proches mais à faible capacité d’absorption.
L’objectif est désormais d’élargir le portefeuille clients. Mais la concurrence des géants mondiaux – Brésil, Inde, Thaïlande – limite les marges de manœuvre. D’autant que les coûts de production en Algérie, tirés vers le haut par le prix de l’énergie, de la logistique et par la dépendance au sucre brut importé, restent pénalisants malgré les aides publiques.
La betterave sucrière : pari agricole et industriel
Pour réduire cette dépendance aux importations de matière première, les autorités misent sur la relance de la betterave sucrière locale. Plusieurs projets pilotes, appuyés par l’État, sont en cours. À El Ménéa (Ghardaïa), des rendements de plus de 100 tonnes par hectare ont été enregistrés dans le cadre de partenariats entre des groupes privés comme Cevital et des entités publiques telles que Sonelgaz. D’autres initiatives émergent dans le Sud, où le climat et la disponibilité foncière offrent des conditions favorables à cette culture.
Mais produire de la betterave ne suffit pas. Il faudra aussi structurer toute une chaîne industrielle : sucreries de proximité, infrastructures logistiques, accompagnement des agriculteurs. Le développement de cette filière reste conditionné à la capacité du monde agricole à s’approprier une culture encore peu répandue dans le pays.
Deux défis majeurs
L’Office national du sucre, nouvel outil de régulation, devra affronter deux défis majeurs : une surcapacité croissante difficile à absorber et un accès restreint aux marchés extérieurs. Sans stratégie cohérente liant production, exportation et transition agricole, la pression sur le marché restera forte.