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L’Algérie, géant pétrolier à la traîne : quand Alger regarde passer le train du raffinage

Par Yasser K
19 août 2025

Pendant que ses voisins explosent leurs capacités de raffinage, l’Algérie stagne depuis cinq ans, ratant une transformation industrielle majeure qui redistribue les cartes énergétiques régionales.

Les chiffres sont sans appel et ils font mal. Pendant que le Koweït multiplie par deux sa capacité de raffinage (+81%) et que le Nigeria fait sensation avec sa méga-raffinerie Dangote, l’Algérie, elle, fait du surplace. 677 000 barils par jour de capacité de raffinage. Pas un baril de plus qu’en 2020, d’après les dernières statistiques de l’OPEP.

Dans le nouveau classement de l’OPEP pour 2024, l’Algérie occupe une modeste 8ème place sur 12 pays membres, loin derrière des nations aux réserves pétrolières pourtant similaires. Un rang qui traduit une réalité amère : le pays qui rêvait de devenir un hub énergétique méditerranéen regarde passer le train de la modernisation industrielle.

Le paradoxe d’un géant qui s’ignore

Comment un pays assis sur la 4ème réserve pétrolière d’Afrique, à deux pas de l’Europe assoiffée d’énergie, peut-il se faire distancer par le Nigeria dans le raffinage ? C’est pourtant la réalité : malgré ses atouts géographiques exceptionnels, l’Algérie affiche une capacité de raffinage inférieure à celle d’un pays rongé par l’insécurité.

Les chiffres de l’OPEP révèlent l’ampleur du décrochage. Avec 677 000 barils par jour, l’Algérie pèse à peine 4,8% de la capacité totale de raffinage de l’organisation, contre 25% pour l’Arabie saoudite (3,29 millions de barils/jour) ou 15,8% pour l’Iran (2,24 millions).

Plus frappant encore : alors que la capacité de raffinage de l’OPEP progressait de 18,5% entre 2020 et 2024, l’Algérie restait figée, spectateur d’une révolution industrielle qui se jouait sans elle.

Nigeria : la leçon qui fait mal

L’exemple nigérian résonne comme un camouflet. Longtemps considéré comme un géant aux pieds d’argile, le Nigeria a su opérer sa mue. L’entrée en service de la raffinerie Dangote – la plus grande d’Afrique avec 650 000 barils par jour – a propulsé le pays de moins de 500 000 barils/jour en 2022 à 1,125 million en 2024.

En cinq ans, Dangote a réussi ce que l’Algérie n’a pas accompli en quinze ans. La raffinerie privée de l’homme d’affaires Aliko Dangote transforme aujourd’hui le Nigeria d’importateur net de produits raffinés en potentiel exportateur régional.

Au Golfe, même scénario. Le Koweït, avec sa raffinerie Al-Zour, a bondi de 800 000 à 1,45 million de barils par jour. L’Irak, malgré ses troubles, affiche +67% de capacité depuis 2020.

Le coût de l’immobilisme

Cette stagnation a un prix et il est lourd. Le pays continue d’exporter son pétrole brut à bas prix tout en important massivement des produits raffinés à haute valeur ajoutée – essence, diesel, carburant d’aviation. Une équation économique désastreuse qui prive l’Algérie de milliards de dollars de recettes potentielles. Chaque baril raffiné sur place représente 15 à 20 dollars de valeur ajoutée qui restent dans le pays. Avec une capacité de 2 millions de barils par jour, l’Algérie pourrait générer 10 à 15 milliards de dollars supplémentaires par an.

Les conséquences dépassent le simple cadre économique. Sur le plan géopolitique, l’Algérie perd progressivement son influence régionale. Alors que l’Arabie saoudite renforce sa position de superpuissance énergétique et que le Nigeria s’impose comme nouveau leader africain, Alger voit son rang décliner.

L’Europe à portée de pipeline

Le gâchis paraît d’autant plus incompréhensible que l’Algérie dispose d’atouts uniques. Sa proximité avec l’Europe – premier marché mondial de produits raffinés – en fait un fournisseur naturel. Ses infrastructures gazières existantes pourraient faciliter l’exportation de produits pétroliers. L’Algérie aurait pu devenir le Singapour de la Méditerranée. Au lieu de cela, elle laisse le Qatar et les Émirats capter cette valeur ajoutée.

Les quelques projets annoncés – modernisation de la raffinerie d’Arzew, construction d’unités de craquage – peinent à sortir de terre. Les lourdeurs bureaucratiques, l’instabilité du cadre réglementaire et les difficultés de financement ralentissent tous les chantiers.

Course contre la montre

L’Algérie se trouve aujourd’hui face à un choix décisif. Avec un taux d’utilisation des raffineries de l’OPEP qui stagne à 63%, la place existe encore sur ce marché. Mais cette fenêtre d’opportunité se referme inexorablement. La transition énergétique mondiale bouleverse déjà les équilibres, et les experts s’accordent sur un point : d’ici dix ans, la demande mondiale de produits pétroliers commencera probablement à décliner.

Pour l’Algérie, l’équation est brutale. Soit elle saisit cette dernière décennie pour rattraper son retard et rejoindre le club des grands raffineurs, soit elle accepte de rester cantonnée au rôle ingrat de pourvoyeur de pétrole brut. Un choix qui dessinera son visage économique pour les décennies à venir.

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