Pendant que le Nigéria et le Koweit explosent leurs capacités de raffinage, l’Algérie stagne depuis cinq ans, ratant une transformation industrielle majeure qui redistribue les cartes énergétiques régionales.
Les chiffres sont sans appel et font mal. Le Koweït a quasiment doublé sa capacité de raffinage (+81 %) avec l’entrée en régime d’Al-Zour, et le Nigeria a fait sensation avec la mégaraffinerie Dangote en montée en puissance. L’Algérie, elle, affiche 677 000 barils/jour de capacité, un niveau stable par rapport à 2020, selon les dernières statistiques issues des données de l’OPEP révélées par Attaqa.
Dans le classement OPEP 2024, l’Algérie figure 8ᵉ sur 12 membres, derrière des pays ayant massivement investi ces dernières années. Cela nourrit l’idée d’un pays qui se veut hub énergétique méditerranéen mais qui n’a pas, pour l’instant, accéléré sur le raffinage au même rythme que certains pairs.
Le paradoxe d’un géant qui s’ignore
Comment un pays doté de la 4ᵉ réserve pétrolière d’Afrique, à deux pas de l’Europe assoiffée d’énergie, peut-il se faire distancer par le Nigeria ? C’est pourtant la réalité statistique au titre de 2024, même si le Nigeria partait de très bas et que la montée en charge de Dangote reste progressive (les premières cargaisons d’essence vers l’Asie n’ont commencé qu’en juin 2025).
Les chiffres OPEP compilés par Attaqa illustrent l’écart. Avec 677 000 b/j, l’Algérie représente environ 4,8 % de la capacité totale de raffinage des membres, contre 25 % pour l’Arabie saoudite (3,291 Mb/j) et 15,8 % pour l’Iran (2,237 Mb/j). Entre 2020 et 2024, la capacité OPEP a progressé de 18,5 % (soit +2,2 Mb/j), tandis que l’Algérie est restée stable.
Nigeria : la leçon qui fait mal
L’exemple nigérian a valeur de signal. Longtemps handicapé par des raffineries publiques peu performantes, le pays a changé d’échelle avec Dangote (650 kb/j de capacité nominale), portant la capacité totale nigériane à 1,125 Mb/j en 2024 selon Attaqa. La montée en régime est étalée dans le temps, mais le site commence déjà à exporter de l’essence hors d’Afrique (première cargaison annoncée vers l’Asie, juin 2025), ce qui crédibilise sa trajectoire d’exportateur régional.
Au Golfe, le schéma est différent mais tout aussi instructif. Le Koweït a bondi d’environ 800 kb/j à 1,45 Mb/j grâce à Al-Zour (615 kb/j) pleinement opérationnelle début 2024. L’Irak, malgré un contexte difficile, affiche également une forte progression de capacité depuis 2020.
Le coût (relatif) de la stabilité
Cette stabilité a un coût d’opportunité : en raffinant davantage, l’Algérie capterait plus de valeur sur place. Dès 2020, Sonatrach a cessé d’importer du diesel (mars) et de l’essence (août), et sur 2020-2024 les importations de produits sont restées faibles par rapport aux exportations de produits (moyenne d’exports ≈563 kb/j contre ≈32 kb/j d’imports, selon l’EIA). Autrement dit, le pays n’est plus structurellement dépendant des importations de carburants comme il a pu l’être auparavant.
Les marges de raffinage (gross refining margin) étant cycliques, la valorisation « par baril » varie fortement selon les phases de marché ; la fenêtre 2022-2024 a été favorable au raffinage au niveau mondial, ce qui renforce l’intérêt de projets additionnels, sans pour autant gommer les contraintes d’investissement et de financement.
Au-delà de la seule équation économique, l’Algérie doit préserver son influence régionale dans un contexte où l’Arabie saoudite consolide son statut de puissance raffinage et où le Nigeria vise un rôle d’exportateur net. La proximité européenne reste un atout structurel pour écouler des produits de qualité aux spécifications strictes.
L’Europe à portée de pipeline
Ce potentiel paraît d’autant plus solide que la proximité avec l’Europe – premier débouché régional pour une partie des produits – et des infrastructures existantes offrent une base logistique. L’Algérie avait matière à viser un positionnement « méditerranéen » plus affirmé sur les produits raffinés ; dans les faits, Qatar et Émirats ont capté une grande part des ajouts de capacités des dernières années, tirés par des fonds souverains et d’énormes complexes intégrés.
Les projets annoncés – modernisation d’unités (Skikda/Arzew) et nouvelles capacités – progressent, mais à un rythme mesuré, dans un environnement réglementaire et financier qui s’ajuste étape par étape.
Course contre la montre
L’Algérie se trouve face à un choix d’allocation : accélérer maintenant pour capter une part plus large de la valeur du raffinage ou maintenir une stratégie centrée sur la stabilité et l’exportation de brut. À l’échelle OPEP, le taux d’utilisation des raffineries a tourné autour de 63 % en 2024, ce qui suggère qu’il reste de la place sur le marché – mais cette fenêtre n’est pas illimitée à mesure que la transition énergétique avance.
En somme, l’Algérie n’a pas suivi le rythme d’investissement de certains de ses pairs depuis 2020. Face à une concurrence régionale qui monte en puissance, l’enjeu pour Alger n’est pas seulement d’accroître ses volumes, mais de définir une trajectoire claire : viser la qualité, développer l’intégration pétrochimique et capter davantage de valeur dans un cycle mondial en pleine mutation.