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L’Algérie responsable du départ des Russes de Wagner du Mali ?

Par Samy Injar
19 juillet 2025

« J’ai dit à nos amis russes : nous ne voulons pas de mercenaires à nos frontières. »

La phrase du président Abdelmadjid Tebboune, prononcée lors de l’entretien télévisé vendredi 18 juillet, apporte comme une clarification à la doctrine algérienne au Sahel. Cette déclaration intervient quelques semaines après l’annonce officielle du retrait du groupe paramilitaire russe Wagner du Mali, le 25 juin 2025.

Alors que les autorités maliennes et russes ont tenté de présenter ce départ comme une réorganisation sans rupture, la coïncidence interpelle. Et si l’Algérie, par des moyens discrets et une politique constante, avait en réalité contribué à l’éviction de Wagner du théâtre malien ?

Des revers militaires amplifiés par une hostilité silencieuse

Le groupe Wagner est arrivé au Mali fin 2021, à l’invitation de la junte militaire issue du coup d’État de mai de la même année. Sa mission : sécuriser les institutions maliennes et reconquérir le nord, tombé hors de contrôle étatique depuis la rébellion touarègue de 2012. Mais, loin de stabiliser la situation, les exactions de Wagner et de l’armée malienne ont aggravé les tensions.

Dans plusieurs localités du Nord — notamment dans les cercles de Kidal et Ménaka — des rapports d’ONG font état de massacres de civils touaregs et arabophones, d’exécutions extrajudiciaires et de déplacements forcés. Ces violences ont ravivé l’hostilité des groupes armés issus de l’Azawad, réunis au sein du Cadre stratégique permanent (CSP), dont plusieurs chefs entretiennent des relations anciennes avec Alger.

Les liens de l’Algérie avec les mouvements autonomistes du Nord malien sont profonds, remontant aux années 1990. Alger a régulièrement accueilli des chefs touaregs en exil, hébergé des négociations, et s’est posé comme garant de l’Accord d’Alger signé en 2015. La dénonciation de cet accord par Bamako début 2024 a été vécue comme une rupture unilatérale du cadre politique que l’Algérie cherchait à maintenir. À partir de là, la retenue d’Alger a changé de nature : sans soutien militaire direct, les marges de manœuvre laissées aux groupes armés se sont élargies.

Le coup le plus dur porté à Wagner a été l’embuscade de l’été 2024, au nord de Gao, où plusieurs dizaines de combattants russes ont été tués dans une attaque parfaitement planifiée, attribuée au CSP. L’abattage d’un drone malien par la défense aérienne algérienne, après une incursion présumée à la frontière sud, a aussi envoyé un signal ferme mais discret : l’Algérie n’entendait pas tolérer la militarisation incontrôlée de son voisinage immédiat.

Le Président Tebboune a résumé vendredi dernier cette position avec une certaine lucidité :

« Il y a eu cinq coups d’État à Bamako. À chaque fois, ceux qui arrivent pensent pouvoir régler le problème du Nord du Mali par la force. Et à chaque fois, ils finissent par se rendre compte que ce n’est pas possible. Et c’est là où nous intervenons, si on nous le demande. »

Une manière de dire que la solution au conflit malien n’est pas militaire — et que l’Algérie reste disponible pour en garantir une version politique.

Moscou ajuste sa stratégie sans renoncer au terrain malien

Mais ce départ de Wagner ne marque pas la fin de la présence russe au Mali. Dès le 25 juin, les autorités russes ont annoncé une réorganisation : les anciens effectifs de Wagner encore en état de combattre ont été intégrés à une nouvelle structure, l’Africa Corps, cette fois directement placée sous la tutelle du ministère russe de la Défense.

Un repositionnement habile, qui permet à Moscou de satisfaire en apparence la ligne rouge algérienne — le refus du mercenariat — tout en préservant ses intérêts militaires et géopolitiques en Afrique de l’Ouest.

Pour Alger, l’essentiel est sauvé : les exactions incontrôlées et l’autonomie dangereuse de Wagner ne sont plus à proximité immédiate. Pour Bamako, le lien militaire avec la Russie reste intact. Ce compromis reflète l’habileté de Moscou, soucieuse de ne pas compromettre sa relation historique avec l’Algérie, son principal partenaire sécuritaire au Maghreb, tout en consolidant son ancrage en Afrique subsaharienne.

Des tensions latentes dans le partenariat algéro-russe

L’episode Wagner au Mali est survenu dans un contexte de refroidissement discret entre Alger et Moscou. Le soutien persistant de la Russie au maréchal Haftar en Libye, rival stratégique de l’Algérie à l’Est, continue d’alimenter des divergences profondes. De même, l’échec de la candidature algérienne aux BRICS, en 2023, a été perçu comme un revers personnel pour le président Tebboune, qui avait investi diplomatiquement dans cette voie.

Enfin, la position de la Russie dans la guerre en Ukraine, perçue comme une entreprise d’agression, affaiblit l’argumentaire central de la diplomatie algérienne : celui de l’autodétermination des peuples. Une posture clé dans le dossier sahraoui, où Alger défend le droit du peuple sahraoui à choisir son avenir face à l’occupation marocaine. Or Moscou, malgré une doctrine anti coloniale similaire, se garde de plus en plus à maintenir son soutien à  cette revendication.

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