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Le bijou kabyle entre disparition et ouverture vers de nouveaux horizons

Par Djaafer Ouigra
3 août 2025

Le bijou kabyle, pilier de l’artisanat algérien et reflet profond de la culture amazighe, fait aujourd’hui face à de nombreux défis qui menacent sa survie. La rareté des matières premières, la flambée des prix et la concurrence des contrefaçons industrielles fragilisent les ateliers traditionnels d’Ath Yanni, haut lieu historique de la bijouterie artisanale kabyle. Chaque année, malgré l’engouement symbolique suscité par la fête du bijou, le secteur recule sur le terrain.

La 19ᵉ édition de cette fête, ouverte le 31 juillet 2025 et qui se poursuivra jusqu’au 9 août, portait le thème « Le bijou d’Ath Yanni, patrimoine universel de l’humanité ». Elle a rassemblé artisans, autorités et visiteurs venus d’Algérie et de l’étranger, soulignant à la fois l’importance culturelle et la fragilité de ce savoir-faire ancestral.

Quel avenir pour le bijou artisanal kabyle ?

L’incertitude plane sur la pérennité du métier. Nazime Triri, responsable de communication au comité d’organisation des fêtes, placé sous l’égide de l’APC d’Ath Yanni, explique :

« Le manque de matière première reste une énigme pour cette activité. Les prix des bijoux changent d’un jour à l’autre et, avec le faible pouvoir d’achat des citoyens, acquérir un bijou est devenu hors de portée pour les bourses modestes. »

Elle ajoute que, depuis le Covid, la fréquentation a nettement baissé par rapport aux années précédentes, malgré la fidélité de la diaspora :

« Le nombre de visiteurs a vraiment chuté ces dernières années. »

Triri évoque aussi la pression de ceux qui souhaitent transformer cette activité artisanale en industrie, avec des centres capables de produire des dizaines de pièces à l’heure. Or, rappelle-t-elle,

« Nous avons déposé à l’UNESCO un dossier, avec l’aide de Slimane Hachi, directeur du CNRPAH, afin de faire classer les bijoux d’Ath Yanni comme patrimoine international. »

La voix des artisans

Connue sous le nom de Thayaniwthe, une artisane qui consacre sa vie à ce métier depuis plus de 37 ans, confie :

« Ces dernières années, je travaille juste par amour du métier, car je ne reconnais plus ce marché. Avant, dans mon village Ath Lahcen, nous étions jusqu’à sept artisans dans les ateliers. Il y avait de la matière et beaucoup d’activité. Aujourd’hui, la majorité a quitté ce domaine, l’un après l’autre, sans rien trouver à faire. »

Contrefaçon et industrialisation : un double danger

L’arrivée de centres industriels produisant des bijoux en grande quantité menace l’âme même du métier. L’artisan Yacine Lounis déplore :

« Le marché des bijoux est vraiment détruit ces derniers temps, notamment cette année. L’argent, notre matière première, dépasse les 240 000 dinars le kilo. Quant au corail, il est non seulement introuvable mais son usage expose à des sanctions pénales. »

Faute de matières premières abordables, les artisans sont contraints de vendre leurs produits à des prix inaccessibles, ce qui réduit considérablement leurs ventes.

Les artisans appellent à l’aide

Les démarches auprès des autorités n’ont, jusqu’à présent, donné aucun résultat. Nazime Triri confie :

« Nous avons déjà saisi le ministère afin de trouver des solutions pour sauver cette activité qui disparaît lentement, mais aucune réponse favorable n’a encore été donnée. »

Un dossier à l’UNESCO pour préserver ce trésor

Pour assurer la survie du bijou kabyle, un dossier a été officiellement déposé à l’UNESCO, avec le soutien de Slimane Hachi, directeur du CNRPAH, afin de faire reconnaître « le bijou d’Ath Yanni comme patrimoine international » et le protéger. Cette initiative illustre une prise de conscience croissante de la nécessité de sauvegarder ce savoir-faire unique.

Le marché international et les ventes en ligne : une lueur d’espoir

Malgré la crise du marché local, certains artisans tentent de se tourner vers l’international. Yacine Lounis confirme avoir :

« Participé à plusieurs foires en Europe, où les gens s’intéressent vraiment à nos produits. Ce ne sont pas uniquement les membres de la diaspora : les étrangers apprécient et achètent nos bijoux artisanaux. »

Il souligne également que les ventes en ligne apportent un souffle nouveau :

« Grâce au commerce sur Internet, le marché garde un minimum de dynamisme. Sans cela, nous aurions déjà abandonné ce métier. »

Un pilier culturel et économique

Le bijou kabyle ne se limite pas à un simple ornement. Il constitue un symbole fort de la société kabyle, une mémoire collective qui transmet des histoires, des identités et des terroirs. Sa disparition représenterait une perte culturelle immense, mais aussi un coup dur pour l’économie locale.

À l’heure où la rareté des matières premières, l’effondrement du pouvoir d’achat et la menace des contrefaçons pèsent lourdement, le bijou kabyle se trouve à la croisée des chemins. La reconnaissance patrimoniale internationale et l’ouverture vers les marchés extérieurs, notamment grâce aux ventes en ligne, apparaissent comme les principaux leviers pour assurer son avenir.

Djaffar Ouigra

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