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Le bilan carbone des entreprises en Algérie : état des lieux et enjeux

Par S.Merad
24 juin 2025

Alors que la pression internationale s’intensifie sur la transparence climatique, les entreprises algériennes, sauf quelques rares initiatives isolées, tardent à amorcer une transformation profonde de leurs tissu industriel pour répondre aux défis climatiques et aux exigences de leurs partenaires commerciaux dans la réalisation et la publication de leur bilan carbone.

Une dynamique en émergence, portée par l’export

En Algérie, la prise en compte du bilan carbone par les entreprises reste récente et largement motivée par les exigences des marchés extérieurs, notamment européens. Dès 2026, tous les produits industriels exportés – ciment, fer, ammoniac – devront afficher leur empreinte carbone pour accéder au marché européen, conformément au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM). Cette obligation pousse les industriels algériens à accélérer l’adoption de méthodologies internationales (GHG Protocol, ISO 14064), jusque-là peu répandues.

Quelques entreprises pionnières, comme Général Emballage, publient déjà des bilans carbone complets et s’engagent dans la réduction de leurs émissions. Mais la majorité des entreprises algériennes en sont encore à la phase de sensibilisation, de formation ou de préparation, soutenues par des politiques nationales ambitieuses (objectif de réduction de 193 millions de tonnes de CO₂ d’ici 2030). Le reporting carbone reste donc l’apanage de quelques grands groupes ou d’initiatives pilotes, sans cadre réglementaire strict à ce jour.

Les entreprises pionnières et les secteurs moteurs

Sonatrach : Leader incontesté du secteur énergétique, Sonatrach joue un rôle central dans la stratégie nationale de réduction des émissions. L’entreprise s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 7 à 22 % d’ici 2030, à travers la diminution du torchage de gaz, la récupération du méthane et l’investissement dans des projets de séquestration du carbone. Sonatrach est également moteur dans le développement de l’hydrogène vert, en partenariat avec Cepsa, pour répondre à la demande européenne et diversifier l’offre énergétique algérienne.

Groupe GICA (ciment) : Ce géant du ciment travaille depuis 2012 sur l’efficacité énergétique et la réduction de l’empreinte carbone de ses usines. Le groupe investit dans l’amélioration des procédés de production et la valorisation des déchets pour limiter ses émissions, un enjeu clé alors que le secteur du ciment est directement visé par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne (CBAM).

Lafarge Holcim Algérie : Acteur majeur du ciment, Holcim a finalisé une étude de faisabilité pour la séquestration du CO₂ et s’engage dans la mise en place de solutions innovantes pour le captage et le stockage du carbone, anticipant ainsi les futures exigences réglementaires européennes.

Général Emballage : Première entreprise algérienne à publier un bilan carbone complet et certifié selon le protocole GHG, Général Emballage s’impose comme pionnière dans le secteur de l’emballage. Elle a mis en place des actions concrètes de recyclage, d’efficacité énergétique et d’intégration des énergies renouvelables dans ses processus industriels.

Sonelgaz : Acteur clé de la distribution d’électricité et de gaz, Sonelgaz s’implique dans le développement des énergies renouvelables et la modernisation du réseau, avec un objectif de 15 000 MW de capacité renouvelable installée d’ici 2035.

L’importance des enjeux pour le développement des exportations

Pression réglementaire européenne : Dès 2026, le CBAM imposera une déclaration précise de l’empreinte carbone pour les produits exportés vers l’UE (ciment, engrais, acier, fer). Plus de 80 % des exportations algériennes hors hydrocarbures vers l’Europe sont concernées, ce qui oblige les entreprises à accélérer la décarbonation de leur production pour rester compétitives et éviter des coûts additionnels liés à la taxe carbone.

Diversification et compétitivité : La transition vers des procédés industriels bas carbone est essentielle pour garantir la pérennité des exportations algériennes. Verdir la production, introduire une tarification du carbone et renforcer les chaînes de valeur dans les secteurs à fort potentiel (énergies renouvelables, hydrogène, technologies vertes) sont des conditions incontournables pour maintenir et développer les parts de marché à l’international.

Accréditation et normes internationales : L’organisme national d’accréditation ALGERAC a renforcé la conformité des laboratoires et des produits aux standards internationaux, facilitant ainsi l’accès des entreprises algériennes aux marchés mondiaux et la reconnaissance de leurs efforts de décarbonation.

Le cout de la non-décarbonation

Le manque à gagner économique lié à la non prise en compte de la décarbonation des entreprises est estimé pour l’Algérie à près de 2 milliards de dollars.

Le manque à gagner lié à la non-décarbonation des entreprises algériennes est déjà significatif et devrait s’aggraver d’ici 2030, sous l’effet combiné des réglementations internationales et des retards d’investissement. La perte estimée pour 2024 se situe entre1,5 et 2 milliards de dollars/an. Elle est, pour l’économie algérienne, principalement due à l’exposition aux taxes carbone européennes (CBAM) sur les exportations hors hydrocarbures (ciment, engrais, acier) et au déficit d’investissement dans les énergies propres : seulement 40% des 5 000 milliards de dollars/an nécessaires mondialement sont mobilisés, freinant la compétitivité industrielle.

Les projections d’ici 2030, dans le cas d’un scénario de statu quo, révèlent une progression alarmante du manque à gagner lié au CBAM européen, passant de 3-4 milliards USD en 2026 à 5-7 milliards USD en 2030, soit une augmentation de près de 75%. Cette escalade s’explique par un double effet : l’entrée en vigueur initiale du mécanisme avec un prix carbone de 44-80 USD/tonne en 2026, puis son élargissement à de nouveaux secteurs combiné à une hausse du prix carbone au-delà de 80 USD/tonne d’ici 2030. Cette projection illustre l’impact financier croissant des politiques climatiques européennes sur les économies exportatrices non préparées à la transition énergétique. Le détail des risques sectoriel touchés est d’autant plus inquiétant qu’il concerne des segments dans lesquels l’Algérie concentre des efforts importants à l’image des ciment/Engrais, dont le contenu carbone moyen de 30–40% supérieur aux normes européennes, entraîne des surcoûts de 15–20% à l’export.

En bref, le coût de l’inaction dépasse déjà 1,5 milliard USD/an et pourrait quintupler d’ici 2030. Pour passer le cap de la décarbonation, l’Algérie doit impérativement accélérer les investissements verts (solaire, hydrogène, efficacité énergétique), standardiser les bilans carbone selon le protocole GHG pour anticiper le CBAM et surtout diversifier les marchés pour réduire la dépendance à l’UE.
La décarbonation, pensée comme la conjugaison de la compétitivité industrielle et responsabilité climatique, n’apparait pas seulement comme un choix écologique, mais une condition de survie économique.

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