La contrebande aux frontières algéro-tunisiennes connaît une mutation rapide. Longtemps dominé par le trafic de carburant, le marché informel s’est progressivement recentré sur une marchandise devenue stratégique : le café. Ce produit de grande consommation est désormais l’un des principaux moteurs du commerce illicite entre les deux pays.
Aujourd’hui, le marché tunisien est largement alimenté par du café de contrebande en provenance d’Algérie. Les flux se multiplient, les circuits se structurent et les volumes augmentent. Cette nouvelle dynamique repose avant tout sur une mécanique monétaire favorable aux réseaux clandestins.
Le facteur clé : le taux de change parallèle
L’essor de ce trafic repose sur le différentiel du taux de change entre le dinar tunisien (TND) et le dinar algérien (DZD) sur le marché noir. Actuellement, le dinar tunisien s’échange à des niveaux particulièrement élevés face au dinar algérien dans le circuit parallèle algérien. Cette situation crée une opportunité immédiate de rentabilité.
Le mécanisme est simple. Les trafiquants achètent le café en Algérie à bas prix, payé en dinars algériens. Ils acheminent ensuite la marchandise vers la Tunisie, où elle est revendue au prix du marché local contre des dinars tunisiens. Enfin, ils rapatrient ces recettes en TND vers l’Algérie pour les convertir sur le marché noir, à un taux très avantageux, générant des profits rapides à chaque rotation.
Le rôle déterminant de la subvention algérienne
À ce facteur monétaire s’ajoute la politique de subvention de l’État algérien. Depuis plus d’un an, le café bénéficie d’un soutien public qui maintient artificiellement son prix bien en dessous des niveaux internationaux. Cette distorsion transforme le café algérien en produit hautement attractif pour la revente clandestine. Le faible coût d’achat conjugué à la forte demande tunisienne crée un effet d’aspiration permanent à travers la frontière.
Les volumes détournés sont principalement écoulés sur le marché tunisien, où le café est vendu à des tarifs proches du marché mondial, ce qui renforce encore la rentabilité des réseaux illégaux et consolide cette nouvelle filière de contrebande.
Un secteur légal sous pression
La situation devient critique pour les entreprises légales tunisiennes. Les torréfacteurs s’approvisionnent officiellement auprès de l’Office du commerce tunisien (OCT) à un tarif fixé à 34,5 dinars le kilogramme. En parallèle, le café issu de la contrebande envahit le marché à des prix défiant toute concurrence, entre 20 et 22 dinars le kilogramme. Cet écart brutal rend les produits officiels non compétitifs. Face à cette distorsion, de nombreux propriétaires de cafés et détaillants basculent vers les circuits illicites afin de préserver leurs marges.
Cette pression désorganise profondément le tissu économique légal. Dans les gouvernorats du nord-ouest, plusieurs unités de torréfaction ont déjà cessé leurs activités. La Conect alerte désormais sur une menace pesant sur près de 286 entreprises du secteur, dont l’avenir apparaît compromis. Cette filière fait pourtant vivre des milliers de familles, directement dépendantes de la torréfaction et de la distribution du café.
Ainsi, la combinaison du taux de change parallèle favorable et de la subvention publique en Algérie a fait du café un véritable “or brun” du trafic frontalier entre l’Algérie et la Tunisie, imposant une pression croissante sur l’économie formelle tunisienne et renforçant le poids du commerce informel dans la région.