Palais des Expositions, Alger, jeudi 26 juin 2025. Une atmosphère flottante. Ce jeudi aurait dû être férié –, c’était prévu, quasi annoncé – pour célébrer le 1er Mouharem. Mais le décret n’est jamais tombé. Alors, les visiteurs, clairsemés, déambulent désabusés dans les allées sans souffle de la Foire Internationale d’Alger (FIA), 56ᵉ édition d’un rendez-vous qui fut autrefois l’un des grands temps forts économiques de la Méditerranée sud.
Devant le stand massif et soigneusement agencé du Sultanat d’Oman, pays invité d’honneur, quelques diplomates devisent avec des hommes d’affaires locaux. Plus loin, l’espace chinois, fidèle à sa démesure, continue de dominer la représentation étrangère. Mais à part ces deux pôles, la vacuité est palpable. L’Europe brille par son absence. L’Amérique a déserté Les géants industriels allemands, japonais ou sud-coréens qui attiraient la foule autrefois ne répondent plus à l’appel.
Le chiffre officiel est là pourtant : 31 pays représentés, 145 entreprises étrangères sur un total de 684 exposants. Mais derrière cette façade statistique peine à se dissimuler une réalité plus crue : ce sont souvent les chancelleries, les ambassades et quelques agences publiques qui assurent le minimum syndical. Les entreprises, elles, semblent avoir tourné la page.
Le mirage d’un âge d’or
Il fut un temps où la FIA incarnait une Algérie promise à un destin économique et commercial grandiose. En 2005, on comptait plus de 1 500 entreprises étrangères venues de 42 pays. C’était l’époque du “rush algérien”, où les pavillons de la France, des États-Unis, du Japon ou du Brésil rivalisaient d’envergure et de faste. À peine sortie de la décennie noire, l’Algérie suscitait à nouveau l’appétit des multinationales, alléchées par un marché protégé, mais solvable, porté par le second âge pétrolier du pays.
Puis, progressivement, la courbe s’est infléchie. En 2010, 835 entreprises étrangères. En 2015, elles n’étaient plus que 742. En 2022, post-Covid, la FIA redémarre difficilement : seulement 187 entreprises étrangères pour 20 pays. Et aujourd’hui, malgré les efforts de rattrapage, le chiffre continue de chuter.
Crise d’un modèle ou tendance mondiale ?
La FIA est-elle victime d’un effondrement local… ou d’un changement de paradigme mondial ? Car il faut bien le reconnaître : les foires multisectorielles, à la manière de la FIA, du salon de Paris ou même de la légendaire foire d’Hanovre, sont en perte de vitesse. Désormais, ce sont les salons spécialisés – dans l’automobile, l’agroalimentaire, les énergies renouvelables ou la tech – qui concentrent les budgets marketing et logistiques des entreprises.
Ce format généraliste, autrefois efficace pour tisser un réseau et observer les tendances, paraît aujourd’hui obsolète. La FIA n’échappe pas à cette érosion, mais elle semble en subir les effets de façon plus aiguë que ses homologues de la Méditerranée ou du Moyen-Orient.
Alger, un carrefour qui dévie
Au-delà du format, c’est surtout l’attractivité de l’Algérie qui interroge. Le protectionnisme erratique, les changements fréquents de règles douanières, la méfiance envers l’investissement étranger, les litiges non réglés avec certaines multinationales européennes : tout cela décourage. Des entreprises françaises ou espagnoles, naguère fidèles, racontent désormais en privé leur désintérêt croissant pour un marché jugé “instable” et “imprévisible”. Les crises diplomatiques entre ces deux pays et l’Algérie ces dernières années ont assombri le tableau.
Le climat des affaires local demeure, malgré les annonces, largement bureaucratique. Le coût d’entrée dans le pays augmente et l’opportunité d’y exposer faiblit. De son côté, la SAFEX, organisatrice historique de la FIA, semble incapable de réinventer le concept de la foire. Même l’interface numérique, censée moderniser l’événement, reste indigente.
Une foire en voie de nationalisation
Cette situation se reflète dans un chiffre : en 2025, sur 684 entreprises présentes, 539 sont algériennes. Le rapport entre exposants locaux et étrangers ne cesse de se creuser. Ce qui devait être une vitrine ouverte sur le monde devient peu à peu un salon bis de la production nationale, un espace de promotion interne où les PME algériennes s’exposent… les unes aux autres.
Il ne s’agit pas de critiquer cette dynamique locale – elle est louable, et elle révèle une volonté de structurer une offre nationale. Mais ce n’était pas la vocation première de la FIA. Son rôle d’interface avec le monde –ses offres et ses opportunités-, est dangereusement en train de s’estomper et cela inquiète notamment les chefs d’entreprise algériens. «J’ai trouvé un de mes clients étrangers ici, il y a quelques années, et aussi une solution pour un problème dans ma chaîne de production », explique un patron de l’agroalimentaire. « Aucune chance que cela se produise aujourd’hui ».
Les conditions d’un rebond
La FIA peut-elle encore renaître ? Oui, mais à condition de refonder son ambition. D’abord en redéfinissant son positionnement : faut-il continuer dans le multisectoriel, ou opter pour des éditions thématiques ? Ensuite, en restaurant la confiance des grands groupes étrangers : cela passe par une diplomatie économique plus cohérente, un droit commercial stable, et des garanties juridiques concrètes.
Enfin, un renouveau créatif est nécessaire. Sortir du copier-coller annuel, imaginer une foire qui ne se contente pas d’exposer, mais qui stimule l’échange, la formation, la découverte. Une foire qui inspire. Un pari au-dessus des moyens de la Safex d’aujourd’hui. La livraison d’un nouvel équipement en 2026, le grand pavillon dédié à l’exposition économique africaine, apparaît dès lors la dernière chance pour réinventer la FIA.