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Le double taux de change coûte “120 000 emplois” à l’Algérie, selon Abderahmi Bessaha

Par Yasser K 15 décembre 2025
Abderahmi Bessaha, Expert international en macro-économie.

L’économiste Abderahmi Bessaha a mesuré les effets du double taux de change sur l’économie algérienne. Les pertes s’établiraient à 2,4 points de PIB sur deux ans, avec une destruction de 120 000 emplois et une érosion de 8,6 milliards de dollars des réserves de change.

L’écart entre le taux de change officiel du dinar et celui pratiqué sur le marché parallèle aurait coûté à l’économie algérienne l’équivalent de 2,4 points de PIB sur la période 2024-2025, selon l’analyse d’Abderahmi Bessaha. Cette distorsion monétaire, qui voit l’euro s’échanger à 151 dinars dans les guichets officiels contre 280 dinars sur le marché parallèle, produirait des effets en cascade sur l’ensemble des agrégats économiques du pays, selon l’économiste.

Sur la base d’un modèle économétrique qu’il a développé pour quantifier ces impacts, Bessaha établit que lorsque l’écart entre les deux taux dépasse 80%, il “réduit la croissance potentielle d’environ 1 point de pourcentage du PIB par an”. L’investissement privé enregistrerait une contraction de 8%, en raison de l’imprévisibilité du change réel qui paralyserait les décisions des opérateurs économiques, avance-t-il.

Selon ses calculs, les réserves de change subiraient une ponction estimée à “8,6 milliards de dollars, aggravée par des fuites annuelles comprises entre 1,3 et 2,7 milliards de dollars via la sur-facturation, la sous-facturation et les circuits parallèles, soit plus de 5 milliards de dollars évaporés en deux ans”.

Une érosion de la compétitivité extérieure de 6,5%

La compétitivité extérieure, mesurée par le taux de change effectif réel, se dégraderait de 6,5%, selon les calculs de Bessaha. Cette détérioration affecterait particulièrement le secteur privé hors hydrocarbures, confronté à une concurrence importée favorisée artificiellement par le maintien d’un taux officiel sous-évalué, estime l’économiste.

L’enchaînement serait mécanique, explique-t-il : la baisse des investissements et l’érosion de la compétitivité entraîneraient une destruction massive d’emplois, qu’il estime entre 36 000 et 60 000 postes par an, soit jusqu’à 120 000 emplois perdus sur deux ans.

Ces suppressions frapperaient en priorité les petites et moyennes entreprises du secteur privé, déjà fragilisées par un environnement économique contraint, selon l’analyse. Dans un contexte marqué par un fort taux de chômage des jeunes, cette hémorragie d’emplois aggraverait les tensions sociales et alimenterait l’exode des compétences vers l’étranger, souligne Bessaha.

Une contribution inflationniste mesurée entre 4,5 et 6,3 points

Au-delà des indicateurs macroéconomiques, le taux parallèle, devenu selon Bessaha “le prix effectif de la devise en Algérie”, importerait massivement de l’inflation dans l’économie domestique. Cette mécanique “contribue à ajouter entre 4,5 et 6,3 points au niveau d’inflation observée en 2024-2025”, selon ses estimations.

Le pouvoir d’achat du salarié moyen “serait amputé de 5 à 6% sur les produits importés”, qui représentent une part significative du panier de consommation des ménages algériens, allant de l’alimentation aux médicaments en passant par l’électroménager et les biens d’équipement, détaille l’économiste.

L’objectif de maintenir un taux officiel artificiellement bas pour contenir l’inflation importée serait ainsi “neutralisé” par la réalité du marché parallèle, où se forment les prix effectifs dans les circuits commerciaux et les marchés, constate Bessaha. Les autorités monétaires se trouveraient ainsi privées de l’un de leurs principaux instruments de régulation des prix, selon son analyse.

Une paralysie de la politique monétaire

Cette coexistence de deux taux priverait la Banque d’Algérie de leviers de pilotage efficaces et paralyserait sa politique monétaire, affirme Bessaha. Le taux parallèle “constitue désormais le prix effectif de la devise en Algérie. Il influence les prix importés, ancre les anticipations d’inflation, oriente l’épargne, affecte la liquidité bancaire et modifie les flux commerciaux”, résume l’économiste. Il documente les conséquences de cette situation, parmi lesquelles une dollarisation massive de l’épargne informelle, qu’il estime à 40% en devises, une fragilisation des bilans bancaires et une opacité statistique généralisée qui compliquerait la conduite de la politique économique.

Les réserves en devises du pays, qui avaient connu une reconstitution partielle grâce à la hausse des cours des hydrocarbures en 2022, subiraient une érosion progressive sous l’effet conjugué des fuites de capitaux et des pratiques de sur-facturation et sous-facturation dans le commerce extérieur, selon Bessaha. Cette situation compromettrait la capacité du pays à financer ses importations incompressibles et à maintenir la stabilité du taux de change officiel, avertit-il.

L’économiste souligne que l’emprise du taux parallèle “impose des coûts macroéconomiques et sociaux considérables” qui menaceraient directement la stabilité financière et sociale du pays. Sans correction rapide de cette distorsion monétaire, la facture économique et sociale continuerait de s’alourdir, affectant la trajectoire de croissance à moyen terme de l’économie algérienne et compromettant les efforts de diversification hors hydrocarbures engagés par les autorités, conclut son analyse.

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