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Le gaz de schiste, « angle mort » des entrevues Tebboune–compagnies américaines

Par Samy Injar
25 juin 2025
Chevron et ExxonMobil sont aujourd'hui en négociation avancée avec les autorités algériennes pour obtenir chacun un périmètre d'exploitation non conventionnelle dans cette région saharienne stratégique.

Derrière les communiqués officiels sur la coopération énergétique, Chevron et ExxonMobil négocient discrètement avec Alger l’exploitation du gaz de schiste dans la région d’In Salah. Un projet sensible qui achoppait sur la fiscalité, tandis que le souvenir des manifestations de 2015 contre la fracturation hydraulique plane encore sur ce dossier stratégique.

Alger a accueilli cette semaine deux visites d’importance : mardi, celle du président-directeur général de Chevron, et mercredi, une délégation d’ExxonMobil. Deux audiences officielles avec le président Tebboune, accompagnées de communiqués évoquant un vaste éventail de sujets : coopération énergétique, développement offshore, transition énergétique, investissements conjoints. Mais un sujet crucial reste soigneusement absent de la communication présidentielle : le gaz de schiste.

Pourtant, derrière les formules protocolaires, le développement du gaz et de l’huile de schiste dans la région d’In Salah figure bien au cœur des discussions techniques engagées entre l’Algérie et les deux géants américains. Chevron et ExxonMobil sont aujourd’hui en négociation avancée avec les autorités algériennes pour obtenir chacun un périmètre d’exploitation non conventionnelle dans cette région saharienne stratégique.

Le dossier le plus sensible

La discrétion qui entoure ce projet n’est pas anodine. À In Salah, le souvenir des manifestations populaires de 2015 contre la fracturation hydraulique reste vif. Des milliers d’habitants avaient alors protesté contre les forages expérimentaux menés par Sonatrach, dénonçant une menace pour les nappes phréatiques et l’environnement local. Le gouvernement avait été contraint de geler les opérations.

Depuis, aucun nouveau projet de gaz de schiste n’a réellement été lancé, même si les ambitions n’ont jamais été abandonnées. L’Algérie possède les troisièmes plus grandes réserves techniquement récupérables au monde, et la région d’In Salah concentre des volumes considérables encore inexploités. Pour Chevron comme pour ExxonMobil, leaders mondiaux de la filière aux États-Unis, ces ressources représentent une opportunité majeure.

Mais jusqu’ici, aucun accord définitif n’a été signé. Et les discussions semblent buter désormais sur un point central : la fiscalité.

Un cadre fiscal jugé peu incitatif

Selon des sources proches du secteur, c’est l’architecture fiscale applicable aux projets non conventionnels qui bloque la conclusion. Si la loi sur les hydrocarbures a été révisée en 2019 pour attirer davantage d’investissements étrangers, elle n’offre pas encore un régime suffisamment avantageux pour les activités à haut risque comme l’exploitation du schiste.

Les coûts d’exploitation y sont bien plus élevés que pour le gaz conventionnel, les opérations sont plus longues, plus complexes, et nécessitent d’importants volumes d’eau et des technologies de pointe. Dans ces conditions, les majors étrangères réclament une fiscalité allégée, calquée sur les pratiques d’autres pays producteurs comme les États-Unis ou l’Argentine. À ce jour, l’Algérie n’a pas encore consenti aux aménagements attendus.

Un partenariat aux multiples volets

Si le gaz de schiste est sans doute la principale motivation de l’entrée des compagnies américaines sur le marché algérien, il n’en constitue pas l’unique axe. Les discussions portent aussi sur d’autres segments porteurs.

Chevron a exprimé un intérêt pour l’offshore algérien, notamment en Méditerranée centrale, un domaine encore largement sous-exploré. ExxonMobil travaille déjà sur des études de développement dans les bassins de l’Ahnet et du Gourara, dans le sud-ouest du pays. Les deux entreprises explorent aussi des partenariats dans les énergies renouvelables, notamment la production d’hydrogène vert, appelée à jouer un rôle stratégique dans les exportations énergétiques futures de l’Algérie vers l’Europe.

En ce sens, le partenariat esquissé va bien au-delà du seul dossier du schiste. Il s’inscrit dans un rééquilibrage des alliances énergétiques d’Alger, qui cherche à diversifier ses partenaires au-delà de ses alliés historiques en Europe et en Asie, en intégrant des acteurs américains de premier plan.

Une ligne de crête politique

Reste que le gaz de schiste conserve une charge politique et sociale particulière. Toute annonce d’un projet concret à In Salah, sans concertation préalable avec les communautés locales, pourrait raviver les tensions. La fracturation hydraulique, avec ses impacts environnementaux et ses besoins en eau, reste perçue comme une menace existentielle dans ces régions arides du Sud.

Le gouvernement semble donc avancer à pas mesurés, soucieux de ménager ses partenaires étrangers sans rouvrir un front de contestation interne. D’où l’absence totale de référence au schiste dans les communications officielles, en dépit de l’avancée réelle des discussions.

L’avenir se joue encore dans le désert

Dans les mois à venir, Alger devra trancher. Le développement du gaz de schiste offre des perspectives économiques immenses, mais suppose de lever plusieurs verrous : fiscaux, environnementaux et sociaux. Pour les majors américaines, l’enjeu est clair : accéder à un nouvel amont gazier parmi les plus prometteurs. Pour l’Algérie, il s’agit d’un pari à la fois énergétique et politique, dont l’issue influencera durablement la géopolitique des hydrocarbures dans la région.

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