Par El Kadi Ihsane
« Je suis fatigué d’attendre. Cela fait plus d’une année que j’ai été innocenté et que j’ai quitté la prison après 13 mois de détention arbitraire, et je n’arrive à recouvrer aucun de mes droits légitimes de citoyen. Je n’ai pas réintégré mon poste de travail et je n’arrive pas à renouveler mon passeport » : la voix un peu chevrotante après plus de 48 heures de jeûne. Nourredine Tounsi a évoqué pour Maghreb Émergent les raisons qui l’ont poussé à rompre le statu quo.
Le lanceur d’alerte connu du port d’Oran a été détenu de février 2023 à mars 2024 pour des accusations relevant d’un dossier pour lequel il avait déjà purgé – injustement déjà – une année de prison en 2020-2021. Le juge en appel de la Cour d’Alger a reconnu cette grave méprise et a prononcé l’extinction des poursuites contre Tounsi condamné à deux années fermes en 1re instance au tribunal de Birmandreis.
Cette extinction des poursuites – juridiquement supérieure à un acquittement – aurait dû permettre à la victime de cet abus judiciaire de recouvrer ses droits. Une année plus tard, Nourredine Tounsi est obligé de recourir à la grève de la faim pour se faire entendre.
« Un acharnement contre moi »
« J’ai multiplié les démarches depuis ma sortie de prison, il y a un an. J’ai été suspendu de mon poste de conseiller à la direction au port d’Oran suite à mon arrestation et à mon inculpation. Cette suspension devait prendre fin avec l’issue qu’a connue cette affaire. En mai 2024, j’ai notifié une requête en réintégration au directeur général. Elle est restée sans suite. Je suis revenu à la charge plusieurs fois sans résultat.
En février dernier, j’ai été reçu à Alger par la directrice des ports, qui m’a demandé de lui transmettre par courrier la récapitulation de mon récit. Il s’est écoulé trop de temps et je suis toujours privé de mon droit de rejoindre mon poste. De l’arbitraire qui s’ajoute à de l’arbitraire. »
Le lanceur d’alerte, marié, père de quatre enfants tous mineurs, s’est dit décidé à mettre sa santé en péril afin de se faire entendre : « Je sais ce que ce pays a fait des dispositions de la loi qui protège les lanceurs d’alerte. Ils sont les premiers à être réprimés. On va voir s’il veut les laisser mourir après les avoir jetés en prison. »
Circonstances aggravantes, Nourredine Tounsi n’a pas pu renouveler son passeport dont il a déposé le dossier depuis de longs mois. Là également, une chape de plomb sécuritaire paraît présider à son sort de lanceur d’alerte redouté à Oran et au-delà. « J’ai déposé plainte contre l’ancien DG du port d’Oran et je demande une enquête sur les circonstances et les acteurs qui sont derrière cet acharnement contre ma personne et qui ont réussi à m’envoyer deux fois en prison à cause de mon action contre la corruption et en protection de l’intérêt public ».
Un cas emblématique à Genève
Nourredine Tounsi a signalé depuis une dizaine d’années de nombreuses affaires liées à la gestion du port d’Oran où il travaille au département commercial. Il a régulièrement pointé les manques à gagner pour son employeur public l’Entreprise du Port d’Oran (EPO) et a révélé les passe-droits suspects dont bénéficiaient de puissants importateurs, rattrapés finalement par l’onde judiciaire du Hirak populaire de 2019. Il a été également un témoin important dans l’affaire des 7 quintaux de Cocaine découverts en mai 2018 dans un bateau en provenance du Brésil.
Le lanceur d’alerte du port d’Oran s’est également occupé de rendre publiques des malversations dans le foncier oranais, ce qui a accéléré la répression contre lui avec sa première incarcération en 2020. Le sort de Nourredine Tounsi intéresse depuis lors la rapporteuse spéciale de la commission des droits de l’homme des Nations Unies basée à Genève. Mary Lawlor a visité l’Algerie à l’automne 2023 en mission sur la situation des défenseurs des droits humains et des lanceurs d’alerte en Algérie. Elle a rendu visite à Nourredine Tounsi en détention à la prison d’El Harrach.
Le cas du lanceur d’alerte du port d’Oran est longuement cité dans le rapport de Mary Lawlor pour la commission à Genève. En commentaire de ce rapport publié en janvier 2025 qui documente les atteintes que subissent les défenseurs des droits humains en Algérie, la rapporteur spéciale s’est déclarée « consternée par la poursuite de la criminalisation des défenseurs des droits humains » après ma visite en Algérie.
La grève de la faim de Nourredine Tounsi vient remettre la lumière sur le drame social silencieux que vivent des centaines d’ex-détenus d’opinion ou de défenseurs des droits humains illégalement privés de leurs droits de travailler et de voyager.