Le Maroc avance à pas mesurés, mais sûrs dans un domaine qui suscite encore la méfiance de la majorité de ses voisins : les cryptomonnaies. Longtemps cantonné à une posture d’interdiction, le royaume opère désormais un virage stratégique.
Alors que l’Algérie et la Tunisie campent sur des positions rigides, Rabat choisit la voie de la régulation. Un choix loin d’être anodin, qui pourrait faire du pays un acteur central de la finance numérique au nord du continent.
Des chiffres qui parlent plus fort que la loi
La situation marocaine est paradoxale. Officiellement, l’usage des cryptomonnaies est interdit depuis 2017. Pourtant, le pays figure parmi les plus avancés de la région en matière d’adoption. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2023-2024, le Maroc se classe 27ᵉ au niveau mondial, avec une estimation de 12,7 milliards de dollars d’actifs numériques en circulation.
Cette dynamique est portée en grande partie par une jeunesse connectée, entreprenante, souvent en marge du système bancaire traditionnel. Pour elle, les cryptomonnaies représentent un outil d’indépendance financière, voire de survie économique.
Face à cette réalité, Bank Al-Maghrib a décidé d’agir. En concertation avec le FMI et la Banque mondiale, elle élabore un projet de loi pour encadrer ces actifs numériques. Le texte, en cours de finalisation, devrait bientôt passer par le ministère des Finances avant d’être présenté au Parlement. Objectif : sécuriser les usages, protéger les investisseurs et ouvrir la voie à une économie numérique plus inclusive.
Un contraste net avec les voisins
À quelques kilomètres de là, le contraste est frappant. L’Algérie maintient une interdiction stricte, brandissant le spectre du blanchiment d’argent et des menaces sur la souveraineté monétaire. En Tunisie, le ton est moins dur, mais tout aussi prudent : les autorités explorent la création d’une monnaie numérique de banque centrale, sans pour autant vouloir toucher aux cryptomonnaies privées.
Pendant que ses voisins hésitent, le Maroc prépare le terrain. En régulant un marché déjà très actif, le royaume espère récolter plusieurs bénéfices : canaliser les investissements vers l’économie réelle, favoriser l’innovation locale, attirer les capitaux étrangers et inclure les populations éloignées du système bancaire. Des expérimentations sont également en cours autour de l’e-dirham, une monnaie numérique nationale qui pourrait faciliter les transferts internationaux et réduire les coûts de transaction.
Réguler sans freiner
Cette stratégie comporte néanmoins des risques. L’absence de culture financière expose les jeunes utilisateurs à la volatilité du marché. Des experts, comme Badr Bellaj, appellent à la vigilance : l’ouverture ne doit pas rimer avec anarchie. Le pays devra trouver un équilibre entre liberté d’innovation et rigueur réglementaire. La lutte contre les fraudes, le blanchiment ou encore la dépendance technologique représente un défi majeur.
Un pari sur l’avenir numérique de la région
Si elle est bien maîtrisée, cette orientation pourrait devenir un atout géopolitique. Le royaume pourrait s’inspirer des Émirats arabes unis, qui ont su attirer investisseurs et géants du numérique tout en gardant le contrôle. En se positionnant comme hub régional des cryptomonnaies et de la blockchain, le Maroc renforcerait ses liens économiques avec l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe, tout en affirmant son leadership au Maghreb.
C’est un pari. Un pari audacieux, mais réfléchi. Là où certains ferment la porte par crainte, Rabat l’entrouvre avec prudence. Dans un monde où la finance numérique devient un levier de souveraineté, cette approche pragmatique pourrait bien placer le Maroc dans le peloton de tête.