Dans un communiqué publié lundi 7 juillet, le groupe Sonelgaz annonce avoir atteint un pic de consommation de 19 580 mégawatts, précisément à 15h03, un seuil jamais franchi auparavant. Le gestionnaire du réseau souligne que ce nouveau record de puissance appelée s’explique par les températures extrêmes ayant dépassé les 45 °C dans plusieurs régions du nord et du centre du pays, provoquant un recours massif à la climatisation et aux équipements de refroidissement. Si cette performance témoigne d’un réseau électrique capable d’encaisser une forte demande, elle relance aussi le débat sur la durabilité du modèle énergétique algérien.
Un record à signification contradictoire
Atteindre près de 20 gigawatts de puissance appelée peut être interprété comme le symptôme d’un pays à l’activité dynamique : infrastructures en marche, industrie sous tension, climatiseurs qui tournent à plein régime. C’est aussi, cependant, le signe d’une efficacité énergétique défaillante. À l’heure où les grandes économies cherchent à faire plus avec moins, l’Algérie semble aller dans le sens inverse. L’électricité, substantiellement subventionnée pour les tranches inférieures de consommation, est gaspillée sans incitation réelle à l’économie. Résultat : une montée en flèche des pointes de demande estivales, mettant à l’épreuve les capacités de production et de distribution. Ce record, s’il flatte les chiffres d’un certain développement, pose des questions lourdes sur la soutenabilité du système. Car plus que la consommation annuelle, ce sont les pics — ces heures critiques où la demande explose — qui dictent les dimensions du réseau et conditionnent les investissements futurs.
Maroc : sobriété structurelle ou plafonnement de la demande ?
De l’autre côté de la frontière ouest, le contraste est saisissant. Le Maroc, avec une population à peine inférieure à celle de l’Algérie et une taille économique comparable, affiche un pic de consommation bien plus modeste. Le dernier record en date remonte à août 2023, avec une pointe de 7 310 MW enregistrée lors d’une autre vague de chaleur. Depuis, plus aucun nouveau sommet n’a été atteint. Le pic marocain stagne, alors que celui de l’Algérie grimpe chaque année. Pourquoi une telle divergence ? Plusieurs facteurs entrent en jeu. D’abord, le prix de l’électricité au Maroc est plus élevé, ce qui incite à des comportements plus économes. Ensuite, la part du secteur industriel marocain repose moins sur les filières lourdes, très gourmandes en énergie. Enfin, le climat atlantique de nombreuses régions du Maroc limite l’usage massif de la climatisation. Cette sobriété énergétique semble donc être autant le fruit de contraintes économiques que d’une structuration différente du tissu productif et social.
Deux pays, deux modèles énergétiques
L’écart entre les deux pays s’explique aussi par une série de facteurs sociologiques, économiques et politiques. En Algérie, les subventions massives sur les tarifs de l’énergie ont permis une diffusion très large des équipements électroménagers, jusque dans les foyers les plus modestes. Climatiseurs, chauffe-eaux électriques, congélateurs : tous ces appareils tournent sans modération pendant l’été. Au Maroc, à l’inverse, le coût plus élevé de l’électricité freine leur usage. De plus, les inégalités de revenu y sont beaucoup plus marquées, ce qui restreint l’accès au confort électrique. Paradoxalement, le niveau de consommation élevé en Algérie reflète clairement une forme d’universalité du confort domestique, même si cela est obtenu au prix d’un système énergivore, peu efficace, et difficilement soutenable à long terme. Ce différentiel de modèle se lit aussi dans les politiques publiques : le Maroc a depuis plusieurs années investi dans l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, réduisant ainsi l’intensité de sa consommation. La preuve, pour un écart de 2,7 entre les pics de production. l’écart entre les capacités de production algérienne et marocaine est lui de « seulement » 2,1 ( plus de 22 Gigawatts pour moins de 11 Gigawatts). Le Maroc maîtrise mieux les emballements de la demande.
Tertiaire sous-développé, industrie surconsommatrice
La structure de la consommation d’électricité en Algérie révèle une autre faiblesse : la part encore modeste du secteur tertiaire. Selon les données disponibles, la consommation électrique nationale se répartit à près de 39 % pour le résidentiel, 34 % pour l’industrie, et seulement 21 % pour les services et administrations. À titre de comparaison, dans les pays de l’OCDE, le secteur tertiaire absorbe jusqu’à 35 % de l’électricité consommée. Cette différence reflète un tissu économique encore peu diversifié, dominé par les activités industrielles lourdes – ciment, sidérurgie, hydrocarbures – très énergivores. En face, le Maroc affiche un profil plus équilibré, avec une industrie plus légère, des services en expansion, et une consommation plus maîtrisée dans les foyers. En définitive, l’Algérie paie aujourd’hui le coût énergétique d’un modèle économique peu transformé, où la croissance de la demande n’est pas compensée par des gains d’efficience.
La soutenabîlité de cette trajectoire en question
Alors que les pointes de consommation explosent, la question centrale est désormais la suivante : Sonelgaz pourra-t-elle suivre la cadence à l’horizon 2040 ? Car si la tendance actuelle se prolonge, les besoins en capacité de production pourraient dépasser les 30 000 MW d’ici quinze ans, selon les estimations internes. Or, cette montée en puissance pose plusieurs défis. D’abord, les gisements de gaz naturel, principale source de production électrique, montrent des signes d’essoufflement. Ensuite, les investissements nécessaires pour renforcer le réseau de transport, stocker l’énergie ou basculer vers les énergies renouvelables sont colossaux. Enfin, la dépendance aux pics estivaux – parfois concentrés sur quelques heures – fragilise la stabilité du système. Sans réformes structurelles, rationalisation de la demande et diversification énergétique, ce modèle de croissance électrique – qui a créé une dette colossale pour Sonelgaz -pourrait devenir un fardeau économique et environnemental. Le record de 2025 ne serait alors plus un exploit, mais un signal d’alarme.
