Le Forum économique Algérie-Brésil vient de se clôturer à Alger. Les regards étaient braqués sur les exportations agricoles et les chantiers d’infrastructure, surtout les opportunités d’investissements brésiliens en Algerie. Sur ce forum a pourtant plané le souvenir d’une tout autre histoire. À rebours. Une autre histoire qui mérite d’être rappelée. Celle d’un entrepreneur algérien qui, il y a moins de dix ans, s’était lancé dans une opération d’envergure au cœur du Brésil industriel. Issad Rebrab a failli bâtir un empire sidérurgique transcontinental. Une ambition sans précédent pour un patron maghrébin. Une tentative avortée, aussi spectaculaire qu’oubliée.
Une vision industrielle à grande échelle
Le coup d’envoi est donné en 2015. Cevital rachète, pour dix millions d’euros, l’aciérie moribonde Lucchini à Piombino, en Italie. Objectif : relancer la production d’acier spécial, créer des milliers d’emplois, faire de Piombino un hub industriel vers l’Afrique du Nord. Une relance à 400 millions d’euros. Pour tenir cette promesse, il fallait sécuriser l’amont : le minerai. C’est ici qu’intervient la relation spéciale qu’entretien Rebrab avec le Brésil. Bien avant de viser à nouveau le fer, Cevital importait du sucre brut depuis les ports brésiliens pour le raffiner à Bejaia. Ce commerce, routinier mais stratégique, liait déjà Cevital au Brésil. La filiale locale permettait de sécuriser l’approvisionnement, maîtriser la logistique, construire des ponts commerciaux. Cette familiarité a ouvert une brèche. Pourquoi ne pas aller plus loin ? Ne plus acheter du minerai, mais l’exploiter à la source, pour alimenter ses propres aciéries ?
2016 un partenariat « coup d’éclat »
C’est au Brésil, dans l’État du Pará, que Rebrab voit grand. Il scelle un partenariat avec le géant Vale. Ensemble, ils envisagent un complexe sidérurgique intégré à Marabá. Production prévue : 2,7 millions de tonnes d’acier par an. Vale fournirait 4,5 millions de tonnes de minerai. Le président Michel Temer lui-même reçoit Rebrab. À Pará, les élus applaudissent : un industriel étranger prêt à investir massivement dans une région oubliée, c’est du jamais-vu.
Mais l’enthousiasme ne suffira pas. Le projet ne dépassera jamais le stade des maquettes et des promesses.
Piombino : le crash financier
Sur le terrain italien, l’élan retombe vite. Les syndicats s’impatientent, les hauts-fourneaux ne redémarrent pas, les fonds tardent à arriver. La presse italienne se fait sceptique. Rebrab, annoncé en sauveur, tarde à livrer.
Le frein se situe à Alger. . La banque d’Algerie bloque les transferts de devises nécessaires au financement du projet. Le gouvernement de Sellal fait traîner les autorisations. Les tensions montent entre Rebrab et le régime Bouteflika, en particulier avec le général Gaïd Salah qui jure en privé d’avoir la peau de cet homme d’affaires qui lui aurait manqué de respect. À l’ère du 4e mandat de Bouteflika, Issad Rebrab n’est pas en odeur de sainteté à Alger. Ses projets se heurtent à des murs administratifs..
Dans ce contexte, l’aciérie de Piombino devient un poids mort. Faute de capitaux et de soutien, Cevital jette l’éponge. En 2018, elle revend l’usine à l’indien JSW Steel. Le rêve italien s’effondre.
Marabá, mirage amazonien
Sans Piombino, Marabá n’a plus d’utilité. À quoi bon extraire du minerai si aucune aciérie ne peut l’absorber ? Et même si le projet tenait debout, qui à Alger aurait laissé partir des centaines de millions au Brésil, alors que Cevital est sous haute surveillance chez lui ?
Les analystes brésiliens saluent l’audace. Daniel Rittner, journaliste économique, souligne alors : « L’ambition de Cevital est rare pour une entreprise nord-africaine. » D’autres, plus critiques, dénoncent une aventure mal préparée, sans appuis locaux ni relais politiques.
Et pourtant, l’intuition de Rebrab avait du fond. Intégrer toute une filière, de la ressource brute au produit fini, était une stratégie industrielle cohérente. Elle s’est malheureusement fracassée sur la réalité : les verrous politiques dans un capitalisme algerien provincial..
Une leçon oubliée
Le rêve brésilien de Rebrab n’a jamais vu le jour. Mais il reste un épisode marquant. Rares sont les entrepreneurs du Maghreb à avoir tenté une telle percée en Amérique du Sud. Rares sont ceux qui ont osé imaginer un axe Béjaïa–Piombino–Marabá. Ce rêve n’a pas survécu, mais il dit quelque chose d’un moment, d’une ambition, d’un homme finalement isolé face aux inerties d’un système tatillon et archaïque