Les Algériens pensent-ils s’en sortir ainsi devant l’Histoire : des coups de boutoir par-ci, par-là. Un appel au boycott lancé sur TikTok ou Facebook, une vidéo virale montrant une bouteille de Coca-Cola abandonnée dans un rayon désert, un KFC brièvement installé à Alger pris pour cible sur les réseaux sociaux et contraint à la fermeture en quelques jours.
Devant le rouleau compresseur génocidaire à Gaza, une dépression rampante mine la rue arabe, impuissante. Sporadiquement entrecoupée par un buzz sur les réseaux sociaux autour du thème du boycott. Puis, à nouveau, la sidération devant l’insoutenable : un siège inhumain, des milliers de civils tués, l’horreur et l’indicible culpabilité d’en être contemporains.
La question est donc posée : en fait-on assez pour sauver les Palestiniens d’un nouvel exil, de l’extermination ?
Dans un pays où la cause palestinienne est quasiment consubstantielle à l’identité nationale post-coloniale, le soutien se manifeste, certes, par la solidarité diplomatique de l’État, par les discours dans les mosquées, et parfois par des gestes citoyens, comme ces appels au boycott de marques américaines perçues — à tort ou à raison — comme complices de l’État israélien. Mais cela suffit-il vraiment ?
Depuis 2005, le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), initié par la société civile palestinienne, travaille à structurer et cibler ce genre d’actions. Inspiré par le précédent sud-africain, BDS a obtenu certains résultats tangibles : la multinationale Veolia s’est retirée d’Israël, Ben & Jerry’s a mis fin à ses ventes dans les colonies, et des géants comme Orange ou G4S ont reconsidéré leur présence sur le marché israélien sous pression. Un rapport israélien de 2015 estimait que le mouvement pourrait causer jusqu’à 1,4 milliard de dollars de pertes annuelles à l’économie israélienne.
Ce n’est pas négligeable, et c’est palpable. Preuve en est : Israël combat le mouvement avec la plus grande vigueur. Il est criminalisé aux États-Unis.
Pourtant, en Algérie, le mouvement BDS reste largement méconnu du grand public. Très peu d’initiatives collectives, peu de relais institutionnels ou médiatiques, encore moins de campagnes coordonnées.
La raison ? Sans doute parce que, dans l’esprit collectif, le soutien à la Palestine relève d’abord de la responsabilité de l’État. Après tout, l’Algérie n’entretient aucune relation diplomatique avec Israël, interdit ses produits et soutient politiquement la Palestine sur toutes les tribunes internationales.
Cet argument du désengagement individuel ne peut plus tenir. Car c’est précisément dans les pays où l’État est absent ou complice, comme en France ou aux États-Unis, que les campagnes BDS prennent le plus de force. L’Algérie, qui se veut l’une des capitales politiques de la solidarité palestinienne, devrait logiquement être à l’avant-garde de ce mouvement. Et elle dispose pour cela d’outils concrets.
Prenons l’exemple du Sahara occidental. Le gouvernement algérien a déjà mis en place un système d’exclusion des appels d’offres pour les entreprises étrangères actives dans les territoires sahraouis occupés par le Maroc.
Pourquoi ne pas appliquer le même principe aux entreprises opérant dans les colonies israéliennes ?
Le mouvement BDS dispose d’une base de données détaillée, actualisée et vérifiée. Il suffirait de s’y référer pour bâtir un cadre juridique, moral et économique d’exclusion.
Bien sûr, les sanctions économiques ont une histoire en demi-teinte. Elles ne sont pas toujours efficaces Mais l’apartheid sud-africain, auquel l’État israélien ressemble aujourd’hui le Génocide en plus , a bien été contraint à négocier grâce à l’isolement économique et culturel mondial. Le parallèle interpelle.
À l’heure où les Palestiniens meurent par milliers à Gaza, à l’heure où les colonies continuent d’absorber la Cisjordanie en toute impunité, le soutien ne peut plus se contenter d’être moral ou symbolique. Il se doit d’être stratégique, ciblé, structuré.
À l’échelle des citoyens algériens, cela devrait commencer par un effort collectif d’adhésion aux campagnes de BDS, par des appels à la responsabilité des marques internationales, et par une pression citoyenne sur l’État pour qu’il fasse de cette solidarité historique un acte économique et politique assumé.
L’ère de la pression par le boycott pétrolier est révolue, nous dit-on ? Celle du boycott citoyen peut devenir une arme tout aussi efficace.