Loin des traditionnels échanges d’hydrocarbures, Washington s’impose désormais dans un secteur inattendu : l’agroalimentaire. Vaches laitières, aquaculture et fourrages… les États-Unis deviennent un acteur discret mais stratégique dans la quête algérienne de souveraineté alimentaire.
L’agriculture algérienne traverse une mue profonde, et les États-Unis en sont devenus l’un des catalyseurs les plus influents. En mars 2025, la signature d’un contrat d’exportation de 150 millions USD entre le ministère algérien de l’Agriculture et l’USDA pour l’importation de vaches laitières hautement productives a marqué un tournant symbolique. Ce partenariat, bien au-delà de sa dimension purement commerciale, illustre la volonté d’Alger de briser sa dépendance chronique aux importations européennes de poudre de lait.
Le secteur laitier algérien, qui absorbe à lui seul près de 15% de la facture alimentaire nationale, souffre depuis des décennies d’un déficit structurel. Les 800 000 vaches locales ne couvrent que 40% des besoins nationaux, contraignant le pays à importer massivement pour satisfaire une consommation en constante progression. L’arrivée de génisses américaines, dotées d’un potentiel de production trois fois supérieur aux races locales, promet de transformer cette équation économique.
Cette révolution bovine s’accompagne d’un transfert technologique sophistiqué : systèmes de traite automatisés, programmes génétiques avancés et techniques d’alimentation optimisées. Les éleveurs algériens découvrent ainsi un savoir-faire agricole que l’Europe, traditionnellement dominante sur ce marché, n’avait jamais proposé avec une telle ampleur. Une stratégie américaine qui vise manifestement à s’ancrer durablement dans l’écosystème agricole algérien.
L’aquaculture, fer de lance d’une diversification ambitieuse
Plus discret mais tout aussi révélateur de cette nouvelle donne géoéconomique, le projet d’aquaculture de Relizane incarne les ambitions algériennes de diversification alimentaire. Ce partenariat de 8 millions USD, conclu entre la société américaine E.S.E Intec et l’entreprise locale Aqua Continentale, donnera naissance à la première ferme intégrée d’aquaculture du pays, spécialisée dans l’élevage de crevettes et la production d’aliments aquacoles.
L’initiative revêt une dimension stratégique particulière dans un pays où les ressources halieutiques demeurent largement sous-exploitées. Avec ses 1 200 kilomètres de côtes méditerranéennes et un potentiel aquacole continental considérable, l’Algérie ambitionne de transformer ce secteur embryonnaire en véritable filière d’exportation. Les technologies américaines d’élevage intensif, associées aux bassins artificiels et aux systèmes de filtration de pointe, ouvrent des perspectives inédites dans un pays habitué à importer l’essentiel de ses produits de la mer.
Cette coopération technique illustre également la capacité américaine à identifier et investir des niches sectorielles délaissées par les partenaires européens. Tandis que la France et l’Italie se concentrent sur les marchés traditionnels (céréales, produits transformés), Washington mise sur l’innovation et les filières émergentes, s’assurant ainsi une position privilégiée dans l’agriculture algérienne de demain.
El Meneaâ : quand le désert devient grenier
Au cœur du Sahara algérien, à El Meneaâ, se joue un autre pan de cette révolution agricole américaine. L’accord conclu entre l’entreprise L’accord conclu entre l’entreprise algérienne Agro-Plus et Agri International LLC pour l’exploitation de 3 300 hectares de terres arides destinées à la production fourragère démontre les ambitions du secteur. Ce projet, qui mobilise des technologies d’irrigation par aspersion et des variétés de cultures adaptées aux conditions extrêmes, vise un objectif stratégique : réduire drastiquement les importations de maïs et de soja, véritables points névralgiques de l’élevage algérien.
La facture annuelle de ces importations d’intrants agricoles dépasse 2 milliards USD, représentant une hémorragie financière considérable pour un pays déjà fragilisé par la volatilité des cours pétroliers. En développant une production locale de fourrages, l’Algérie espère non seulement stabiliser ses coûts de production, mais également sécuriser ses approvisionnements face aux aléas géopolitiques internationaux.
Cette agriculture saharienne, rendue possible par l’expertise américaine en matière d’irrigation intelligente et de sélection variétale, transforme progressivement le sud algérien en laboratoire agricole à ciel ouvert. Les premiers résultats, avec des rendements dépassant les prévisions initiales, encouragent déjà l’extension du projet à d’autres wilayas du Sud.
Au-delà du commerce : les ressorts d’une stratégie géopolitique
Les chiffres bruts des échanges bilatéraux – 3,5 milliards USD en 2024 – ne rendent qu’imparfaitement compte de la portée stratégique de cette offensive américaine dans l’agriculture algérienne. Certes, ces montants demeurent modestes comparés aux 12 milliards USD d’échanges avec la Chine ou aux 15 milliards USD avec l’Union européenne. Mais l’analyse qualitative révèle une approche plus sophistiquée et potentiellement plus durable.
Washington déploie en effet une stratégie à trois dimensions : pénétration des marchés traditionnellement européens (lait, céréales), introduction de technologies de rupture (agriculture de précision, biotechnologies, systèmes d’irrigation connectés), et positionnement sur les filières d’avenir (aquaculture, agriculture saharienne, énergies renouvelables agricoles).
Cette approche s’inscrit dans un contexte géopolitique particulier. L’Algérie, confrontée à la nécessité de diversifier son économie post-hydrocarbures, cherche de nouveaux partenaires capables d’accompagner sa transformation structurelle. Les États-Unis, forts de leur avance technologique et de leurs capacités financières, proposent une alternative crédible à la dépendance européenne, tout en évitant l’écueil de la concurrence frontale avec la Chine sur les infrastructures lourdes.
Vers une recomposition des équilibres alimentaires maghrébins
Cette pénétration américaine dans l’agriculture algérienne s’inscrit dans une dynamique régionale plus large. Le Maghreb, région stratégique aux portes de l’Europe et carrefour entre l’Afrique et la Méditerranée, attire désormais l’attention de Washington dans le cadre de sa stratégie de containment chinois en Afrique du Nord.
L’Algérie, avec ses 44 millions d’habitants et son potentiel agricole largement inexploité, représente un marché test pour les technologies agricoles américaines destinées aux zones arides. Les enseignements tirés de cette coopération pourraient ensuite être déployés dans d’autres pays de la région – Maroc, Tunisie, Égypte – créant progressivement un écosystème technologique favorable aux intérêts américains.
Par ailleurs, cette stratégie alimentaire s’articule parfaitement avec les objectifs américains de diversification énergétique. En aidant l’Algérie à développer son agriculture, Washington contribue indirectement à libérer des ressources gazières algériennes pour l’exportation vers l’Europe, renforçant ainsi l’indépendance énergétique européenne vis-à-vis de la Russie.