L’entretien fleuve accordé par le président algérien Abdelmadjid Tebboune au journal L’Opinion dimanche 2 février, a provoqué une onde de choc dans les médias français, révélant des lectures radicalement différentes selon les orientations éditoriales des rédactions.
Les médias publics, Franceinfo en tête, privilégient une interprétation constructive des propos présidentiels. Ils mettent en exergue la volonté affichée par Tebboune d’éviter une “séparation qui deviendrait irréparable” avec la France. Son analyse de “l’instabilité qui règne en France” et sa “conscience des difficultés politiques d’Emmanuel Macron” sont présentées comme des gages de compréhension mutuelle.
Europe 1 va plus loin dans cette lecture conciliante. Le média cite abondamment les sources diplomatiques françaises qui voient dans ces déclarations un signal positif : “Il ouvre la porte […] Notre brouille est allée très loin et là, il revient vers nous”. Cette interprétation trouve un écho favorable tant à l’Élysée qu’au Quai d’Orsay, même si le ministère de l’Intérieur adopte une position plus réservée face aux difficultés persistantes des expulsions.
Une couverture critique à droite
Boulevard Voltaire adopte une position diamétralement opposée, qualifiant l’interview de “provocatrice” et “mensongère”. Le média dénonce particulièrement la comparaison établie par le président algérien entre les commémorations de la Seconde Guerre mondiale et les demandes de réparation pour la colonisation. Il fustige également ce qu’il considère comme une “bonne volonté” trop rapidement saluée par les médias publics.
Le point le plus controversé concerne les attaques personnelles contre les responsables politiques français. Le Figaro met en avant les déclarations choc visant Marine Le Pen et “l’ADN” du Rassemblement National qui contiendrait, selon Tebboune, “des restes de l’OAS”. La comparaison avec les rafles du Vel d’Hiv fait particulièrement réagir les rédactions.
Le Point et Le JDD : de l’équilibre à la confrontation
Le Point et Le JDD, qui ont opéré un net virage conservateur depuis fin 2023, adoptent désormais un ton plus incisif sur les questions de politique étrangère, particulièrement visible dans leur traitement de l’interview de Tebboune.
Le Point, traditionnellement centriste mais désormais plus proche des positions de la droite républicaine, met particulièrement en exergue les passages les plus polémiques de l’entretien. L’hebdomadaire, qui accordait auparavant une large place aux perspectives diplomatiques, privilégie aujourd’hui une lecture plus critique des relations franco-algériennes. Sa couverture de l’interview insiste lourdement sur les “tensions”, le “dialogue politique quasiment interrompu” et les “attaques” contre les responsables politiques français.
Le Journal du Dimanche, depuis son rachat et sa réorientation éditoriale controversée, adopte une ligne similaire. Le titre accorde une place prépondérante aux déclarations les plus virulentes de Abdelmadjid Tebboune, notamment ses propos véhéments contre Marine Le Pen. Le journal, autrefois reconnu pour sa modération sur les questions diplomatiques, n’hésite plus à souligner les points de friction, comme l’annonce de la fin des transferts médicaux vers la France ou le refus des visites consulaires à Boualem Sansal.
Les points de convergence médiatiques
Malgré leurs divergences d’interprétation, les médias français s’accordent sur plusieurs constats. Tous relèvent le caractère inédit de cette prise de parole présidentielle dans un média français. La dureté des propos concernant certaines personnalités politiques françaises fait également l’unanimité, même si leur interprétation diffère.
Le “climat délétère” évoqué par Tebboune est largement repris, devenant le fil conducteur de la couverture médiatique. Les rédactions convergent également sur l’importance des enjeux économiques et migratoires, même si leur traitement varie considérablement.
Une couverture révélatrice des divisions françaises
Le traitement médiatique de cette interview révèle finalement autant sur l’état du débat public français que sur les relations franco-algériennes. Entre volonté d’apaisement et dénonciation des provocations, entre lecture diplomatique et analyse politique, les médias français peinent à trouver une ligne cohérente.
L’épisode souligne la persistance des fractures françaises sur la question algérienne. Si certains voient dans les propos de Tebboune une main tendue maladroite, d’autres y lisent une stratégie de tension délibérée.
Yasser Kassama