La Constitution algérienne consacre le principe d’égalité entre tous les citoyens, y compris devant l’impôt. L’article 51 de la Constitution de 2020 stipule que « tous les contribuables sont égaux devant l’impôt ». Mais cette affirmation de principe soulève une question essentielle : les ministres algériens s’acquittent-ils réellement de leurs impôts comme tout citoyen ?
La question se pose d’autant plus que les salaires et avantages des membres du gouvernement demeurent entourés de secret depuis le début des années 1990, période où les « décrets non publiables » sont devenus la norme pour fixer la rémunération des hauts responsables de l’État. Ce flou alimente le doute : existe-t-il une exception implicite à la règle constitutionnelle d’égalité fiscale ?
Le cadre légal : aucune exception prévue
Sur le plan juridique, aucun texte de loi n’exempte explicitement les ministres de l’impôt sur le revenu. Le Code des impôts directs stipule que toute personne percevant un revenu supérieur au salaire minimum est imposable, sans distinction de fonction ou de statut.
De plus, aucun décret publié au Journal officiel n’accorde de traitement fiscal particulier aux membres du gouvernement.
Ainsi, en théorie, les ministres algériens devraient payer l’impôt sur le revenu global (IRG) comme n’importe quel salarié du secteur public, avec prélèvement à la source effectué par le Trésor public.
Cependant, la difficulté réside dans l’absence de transparence : les fameux décrets non publiables qui fixent la rémunération et les avantages des hauts fonctionnaires échappent au contrôle public. Cette opacité empêche toute vérification citoyenne ou parlementaire sur le respect effectif du principe constitutionnel.
La pratique : l’impôt est prélevé, mais les privilèges échappent à la fiscalité
Les données disponibles laissent penser que les ministres s’acquittent effectivement de l’impôt sur leur salaire. Des sources gouvernementales citées par El Watan, La Tribune ou Al Arabi Al Jadid ont évoqué des salaires mensuels bruts variant entre 300 000 et 700 000 dinars. À de tels niveaux, le prélèvement de l’IRG est automatique selon les barèmes légaux.
D’ailleurs, lors de la crise financière de 2016, le gouvernement avait annoncé un prélèvement exceptionnel de 10 % sur les salaires ministériels pour soutenir le Trésor public, ce qui confirme que leurs rémunérations étaient déjà soumises à l’impôt.
Mais au-delà du salaire imposable, les ministres bénéficient d’une panoplie d’avantages en nature non fiscalisés : logement de fonction, véhicule avec chauffeur, frais de mission, couverture médicale étendue, voire voyages officiels à la charge de l’État.
Ces avantages, considérés comme prestations administratives et non revenus directs, échappent à l’impôt sur le revenu. Autrement dit, si le ministre paie des impôts sur son salaire, il n’en paie pas sur les nombreux bénéfices matériels attachés à sa fonction.
Pourquoi ce flou persiste-t-il ?
La pratique des décrets non publiables remonte au début des années 1990, dans un contexte politique et sécuritaire tendu. Depuis, la fixation des salaires des ministres se fait dans un cadre confidentiel, sans base constitutionnelle claire pour justifier cette opacité.
Résultat : la transparence fiscale des hauts responsables est quasi inexistante. Ni le citoyen, ni la presse, ni le Parlement ne peuvent vérifier si les règles fiscales s’appliquent réellement de manière égale à tous.
Conclusion : l’égalité proclamée, l’exception implicite
En droit, les ministres algériens ne bénéficient d’aucune exonération fiscale. En pratique, ils paient bien l’impôt sur leur revenu, mais profitent d’un système d’avantages considérables qui échappent à toute imposition directe.
Le ministre paie l’impôt, mais non le prix du privilège.
Cette distinction illustre la tension persistante entre un texte constitutionnel fondé sur l’égalité et une réalité administrative où les privilèges demeurent hors du champ fiscal.