Un simple appel public du président allemand Frank-Walter Steinmeier à l’adresse de son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune a suffi pour déclencher un tournant diplomatique majeur. Quelques jours après cet appel, Tebboune annonçait la libération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, condamné en Algérie à cinq ans de prison ferme, ainsi que son transfert vers l’Allemagne pour y recevoir des soins adaptés.
Dans ce contexte, Steinmeier déclara : « J’ai demandé à mon homologue algérien Abdelmadjid Tebboune d’accorder un geste humanitaire en faveur de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, emprisonné en Algérie. Un tel geste serait l’expression d’une attitude humanitaire et d’une vision politique à long terme. Il refléterait ma relation personnelle de longue date avec le président Tebboune et les bonnes relations qui unissent nos pays. »
Le président Tebboune répondit officiellement par un communiqué présidentiel : « Le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, a reçu, en date du 10 novembre 2025, une demande de M. Frank-Walter Steinmeier, président de la République fédérale d’Allemagne, pays ami, concernant l’octroi d’une grâce en faveur de Boualem Sansal… En application de l’article 91, alinéa 8, de la Constitution, et après consultation conformément à la loi, le président de la République a décidé de répondre favorablement à la demande de l’ami, le président de la République fédérale d’Allemagne, et c’est l’État allemand qui prendra en charge le transfert et les soins du concerné ».
Comment l’Algérie a basculé du côté allemand ?
Pour Brahim Oumansour, chercheur à l’IRIS et auteur de L’Algérie, un rebond diplomatique, « il y a un glissement de l’Algérie du côté de l’Allemagne et de l’Italie ». Les relations entre l’Allemagne et l’Algérie ne datent pas d’aujourd’hui : l’Allemagne est le deuxième fournisseur d’armements à l’Algérie avec 10% des importations algériennes. Depuis la guerre en Ukraine, Berlin a besoin de se rapprocher d’Alger pour réduire sa dépendance au gaz russe.
En revanche, les relations entre l’Allemagne et le Maroc ont connu un refroidissement, notamment avec le ralentissement du projet Desertec, destiné à répondre aux besoins énergétiques allemands et européens. L’Allemagne n’a pas suivi la position américaine et française sur le dossier du Sahara occidental, préférant maintenir son aide aux Sahraouis et favoriser une solution conforme aux règlements onusiens, tout en considérant le plan d’autonomie marocain comme crédible.
Diplomatie pragmatique : une exigence conjoncturelle
Oumansour explique également dans son ouvrage que l’Algérie tend à adapter sa diplomatie aux exigences des mutations géopolitiques, en se positionnant selon ses intérêts conjoncturels. L’Algérie a recentré ses efforts diplomatiques sur la diplomatie énergétique, les rivalités régionales dans le Maghreb et les enjeux du Sahel.
Dans ce contexte, « avoir comme partenaires deux des trois plus grandes puissances européennes, l’Italie et l’Allemagne, c’est évidemment un atout pour Alger », estime Brahim Oumansour dans une interview à TF1.
Le glissement vers l’Allemagne a commencé lors de la crise du Covid, quand le président Tebboune a choisi de se faire soigner à Berlin plutôt qu’à Paris, marquant une rupture avec son prédécesseur Abdelaziz Bouteflika. Néanmoins, ce geste n’a pas suffi à convaincre le Hirak, mouvement populaire réprimé et accompagné d’une campagne judiciaire contre ses activistes. Ce mouvement n’a pas provoqué de basculement politique interne net en faveur des libertés démocratiques, mais cette revendication reste une priorité pour les Algériens qui ne souhaitent pas que la libération de Sansal soit un simple jeu d’influence. Le plus important pour le peuple est que les libertés garanties par la Constitution soient respectées.
Un basculement au détriment de la France ?
La France a beaucoup perdu en Algérie depuis cette crise diplomatique inédite. Le nouveau ministre de l’Intérieur français a rapidement signalé que la sécurité des Français en Algérie est menacée par cette crise. Le directeur général de la DGSE a confirmé que la coopération sécuritaire entre les deux pays est à son plus bas niveau.
Côté opinion, le discours « bras de feriste » de Bruno Retailleau n’a rien apporté pour changer la situation, et celui-ci s’est retrouvé relégué aux derniers rangs dans les sondages.
Le président Emmanuel Macron a déclaré que la libération de Boualem Sansal est le fruit d’un travail conjoint entre Alger, Paris et Berlin. Sansal n’a pas fait appel auprès de la Cour suprême suite à sa condamnation en appel, ni le parquet qui avait requis 10 ans de prison, ce qui laissait présager un compromis en vue d’une issue favorable.
La visite attendue du nouveau ministre français de l’Intérieur à Alger sera une occasion cruciale pour définir une nouvelle feuille de route dans la coopération sécuritaire entre les deux pays. Le reste suivra naturellement.
Cet épisode illustre un réalignement diplomatique important, où l’Allemagne s’impose désormais comme un partenaire pivot et médiateur européen majeur auprès de l’Algérie, tandis que la France voit son influence diminuer dans un contexte de tensions étendues. Ce glissement géopolitique est également un miroir des transformations internes et régionales qui façonnent l’avenir des relations euro-maghrébines.





