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Limogeages, prison : la gouvernance punitive de Tebboune aggrave la paralysie (Blog)

Par Ihsane El Kadi
15 juin 2022

Le président de la république a choqué l’opinion algérienne en commandant des canadairs au guichet de la Foire Internationale d’Alger.  Que fait-on autour de lui ?

 La fin de fonction ce mardi 14 juin du ministre des Finances, Abderrahmane Raouya moins de 4 mois après son retour dans la fonction, le 19 février, dernier rallonge dangereusement une liste de plus en plus longue de limogeages de ministres, en décision individuelle, hors remaniements ministériels.  Les ministères des Transports  (2 fois), des affaires sociales, de la communication, de l’industrie (2 fois), du tourisme, …  Égrener les limogeages intempestifs de ministres devient fastidieux pour une période de 30 mois de présidence.

« L’ambiance au conseil des ministres était déjà assez suspicieuse de mon temps, mes amis me disent que l’air y devient irrespirable aujourd’hui à cause des incertitudes qui planent sur l’avenir de chaque membre du gouvernement ». Nous révélait il y a quelques jours un ancien membre du cabinet Djerad avant même l’annonce surprise du limogeage du ministre des Finances Abderrahmane Raouya, « un homme qui ne fait jamais de vagues ».  

Les observateurs ont  quelque peu renoncé depuis plusieurs mois à expliquer la raison de chaque limogeage tant l’exercice est devenu récurrent et sans incidence sur la compréhension générale de la gouvernance punitive de Abdelmadjid Tebboune.  Dans le cas de Abderrahmane Raouya, c’est la note de l’association des banques et établissements financiers (ABEF),  suspendant les domiciliations des importations à partir de l’Espagne, qui est le plus souvent citée. Elle est une infraction franche à l’accord d’association avec l’Union Européenne et a apporté à Madrid le soutien automatique de Bruxelles.

Il aurait sans doute fallu, pour la présidence, que les mesures de rétorsion contre le commerce avec l’Espagne demeurent non publiques, comme elles l’ont été pendant plusieurs semaines, précédemment à  la note adressée par l’ABEF, canal historique officieux de transmission des injonctions de l’administration aux banques. 

La paranoïa chez les managers publics

La gouvernance punitive de Abdelmadjid Tebboune pose d’autant plus problème à l’encadrement gouvernemental du pays qu’elle ne s’arrête pas aux limogeages fréquents et spectaculaires de ministres.  Les patrons des grandes entreprises publiques et les managers de Holdings publics vivent désormais avec un risque prison à nouveau exacerbé après une accalmie en 2021. La mise en mandat de dépôt, la semaine dernière, de Kamel Issad DG d’Algérie Ferries, nommé en novembre 2021, ainsi que deux cadres de son entreprise, est revenu replonge les cadres du secteur public économique dans leurs angoisses à peine dépassées.

L’affaire, intervenue à la suite du limogeage du patron d’Algérie Ferries à cause du « préjudice porté à l’image du pays en France » avec le chaos autour de la vente de billets, concerne officiellement un voyage du Bordj Badji Mokhtar 3 quasiment à vide. « Tout le monde sait que la tension sur les billets d’Algérie Ferries vient à la fois de la restriction de son programme et de la tarification irréaliste. Or les deux sont des injonctions de la tutelle » explique un expert maritime proche de l’entreprise. Les ministres sont limogés et peuvent aller plus tard en prison, les managers eux vont directement en prison « pour des orientations et des décisions qui viennent d’en haut ».

Dejlloul Achour, le patron de SERPORT, le groupe public détenteur des actifs des entreprises portuaires, a été mis sous mandat de dépôt le 17 mai dernier, ainsi que deux autres responsables des filiales de son groupe, pour une affaire de « sortie illicite » du port de Mostaganem de 311 conteneurs portant 1064 kits de véhicules Hyundai importé en 2019 par le groupe Tahkout Motor Compagny (TMC). La volonté d’envoyer un signal à l’opinion, selon lequel la « 3issaba » de l’époque Bouteflika continue d’être « combattue », paraît prévaloir dans ce dossier ou la défense a des arguments qui ne justifient pas les incarcérations… et leurs dégâts sur le moral des managers publics.

Personne d’autre pour acheter des Canadairs ?

La situation est déroutante et en définitive paralysante pour les acteurs publics. Les managers qui obéissent aux injonctions politiques venant de la présidence de la république essuient les plâtres (Algérie Ferries). Ceux qui prennent des initiatives ou qui vont dans le sens de la préservation des intérêts économiques du pays s’exposent encore plus (affaire des kits Hyundai menacés de détérioration). Les ministres qui, les doigts sur la couture, pensent bien faire en notifiant une orientation présidentielle – pas d’importation à partir de l’Espagne –  se sabordent naïvement.

C’est cette peur tétanisante des représailles de plus en plus « névrotiques » qui empêche l’administration de délivrer décisions et arbitrages qui font avancer l’économie. Pas étonnant alors que trois ministres de l’Industrie aient réussi à botter en touche pour ne pas avoir à rétablir l’importation des véhicules dans un pays dont le parc roulant est momifié depuis 4 ans. Peur des représailles.

Cette peur « d’engager la signature publique » remonte jusqu’au premier ministère comme l’atteste le blocage jusqu’au 06 avril dernier des autorisations d’achat pour équiper les infrastructures des JM D’ORAN dont l’organisation livre encore cette semaine une course critique pour être au rendez-vous du 25 juin prochain.  C’est sans doute cette même paranoïa collective qui est en train de s’emparer de la gouvernance algérienne qui explique cette sortie renversante du président Tebboune à la foire internationale d’Alger au sujet de l’achat immédiat de Canadair chez un fournisseur nord américain. Personne autour du président n’a donc encore pu boucler cette opération de première urgence après l’été tragique de 2021 ?  

C’est le symptôme d’une paralysie avancée de l’appareil de l’État ou les décisions se concentrent de plus en plus au palais d’El Mouradia, déresponsabilisent les autres rouages, sauf pour les sanctions, et où le pays travaille à l’allure de ses pensionnaires.

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