Le tribunal criminel de Dar El Beïda, relevant de la Cour d’Alger, a officiellement convoqué le lanceur d’alerte Nourredine Tounsi comme témoin dans le procès de Kamel Chikhi, alias « El Bouchi ». Ce procès porte sur la saisie de 701 kg de cocaïne, une affaire parmi les plus médiatisées en Algérie depuis mai 2018, date à laquelle une importante cargaison de drogue a été interceptée au port d’Oran.
Dans une vidéo diffusée en direct sur les réseaux sociaux, Tounsi a lancé un appel pressant aux autorités algériennes pour qu’elles lui garantissent une protection, ainsi qu’à sa famille, avant son témoignage prévu dans cette affaire délicate. “Ma vie est en danger”, alerte-t-il, affirmant détenir des documents et témoignages compromettants qui impliqueraient des personnalités influentes et des réseaux criminels organisés.
Ancien responsable de la division commerciale du port d’Oran, Tounsi indique avoir signalé dès 2017 des activités suspectes, documentant ses observations dans des procès-verbaux officiels. Le 8 mai 2018, trois semaines avant la spectaculaire saisie de cocaïne, il publiait une vidéo dénonçant ce qu’il qualifiait déjà de “trahison”. Depuis lors, selon ses déclarations, il fait l’objet de diverses représailles : arrestations, détention arbitraire, licenciement abusif, retrait de son passeport et pressions constantes sur sa famille – notamment une tentative d’assassinat visant son fils, heurté par un véhicule non identifié.
Un témoin clé dans le procès « El Bouchi »
Le témoignage de Noureddine Tounsi, considéré comme déterminant dans cette importante procédure judiciaire, est attendu lors de l’audience fixée au 15 juin prochain. L’accusé principal, Kamel Chikhi, est poursuivi pour “direction et financement d’un réseau criminel transfrontalier impliqué dans la contrebande”, “blanchiment d’argent”, et “importation illégale de produits alimentaires et carnés”. Le dossier mentionne également plusieurs entreprises et hommes d’affaires soupçonnés “d’avoir transformé les profits d’activités illicites en biens immobiliers et avoirs locaux.”
Tounsi accuse certains cercles de pouvoir d’avoir monté contre lui des affaires judiciaires fictives. Incarcéré pendant une année avant sa libération en mars 2024, il a mené plusieurs grèves de la faim dans les prisons d’Oran et d’Alger, contestant ses conditions de détention et l’absence de recours légal. Il soutient que sa mise à l’écart visait à le faire taire, après avoir révélé des irrégularités graves au sein du port d’Oran et au-delà, impliquant des réseaux ancrés dans des institutions économiques et sécuritaires.
Il étaye ses allégations par des documents officiels, dont un procès-verbal de son audition comme témoin par un juge d’instruction en avril 2020, ainsi qu’une lettre adressée à l’ex-ministre de la Justice Belkacem Zeghmati, sollicitant la protection prévue par la loi. Bien que les autorités judiciaires aient ouvert une enquête partielle, aucune mesure concrète n’a été prise pour assurer sa sécurité, selon ses dires.
Distingué par le prix Ali Boudoukh pour son engagement en tant que lanceur d’alerte, le cas de Nourredine Tounsi a suscité une attention internationale. Il a notamment reçu la visite de Mary Lawlor, rapporteure spéciale de l’ONU sur la situation des défenseurs des droits humains, et son dossier a été présenté au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.
Dans son dernier message, Tounsi souligne que “dénoncer la corruption reste une démarche périlleuse, insuffisamment protégée en pratique malgré les garanties légales existantes.” Il adresse un appel direct au président Abdelmadjid Tebboune, également ministre de la Défense, pour une intervention urgente, affirmant que les informations qu’il détient sont d’intérêt public et essentielles pour la justice algérienne.
Il convient de rappeler que, d’après les déclarations de l’ancien ministre de la Justice Tayeb Louh, Kamel Chikhi est mis en cause dans trois dossiers principaux : la saisie de cocaïne, des opérations immobilières frauduleuses et des faits de blanchiment d’argent.