Emmanuel Macron a demandé, dans sa lettre à son premier ministre publiée mercredi dernier dans le Figaro, l’activation de dispositions de la loi sur l’immigration visant à restreindre la délivrance de certains visas à destination des Algériens. Et la France a annoncé la suspension de l’accord d’exemption de visas pour les détenteurs algériens de passeports diplomatiques et de services. Au-delà des conséquences diplomatiques, cette décision — souvent résumée dans les médias comme une « suspension/activation du visa D » — risque d’aggraver un problème très concret : la capacité des groupes et PME françaises à faire circuler leurs cadres, assurer le montage de contrats et maintenir des opérations en Algérie.
Plusieurs sources convergent sur l’importance — mais aussi la fragilité — de l’implantation française en Algérie : on recense aujourd’hui environ 6 000 entreprises françaises qui travaillent avec l’Algérie, dont entre 400 et 450 sont physiquement implantées sur place et employant plusieurs centaines de salariés. Ces chiffres montrent que la relation économique reste dense, mais largement dépendante d’un petit nombre de filiales et d’un grand nombre de PME exportatrices. Le commerce bilatéral montre des variations : certains indicateurs affichent une baisse sur plusieurs années tandis que d’autres mois/semestres ont connu des reprises ponctuelles (la structure des échanges reste fortement marquée par les hydrocarbures côté algérien et par des biens industriels, agricoles et pharmaceutiques côté français).
Les conséquences immédiates pour les entreprises
Principale conséquence de nouveau tour de vis français : mobilité des cadres et réalisation des contrats. La suspension ou le durcissement des visas de long séjour (visa D) complique l’arrivée et le renouvellement des expatriés et experts français. Pour des projets industriels, des chantiers, ou des montages de co-entreprises, l’impossibilité d’obtenir des permis de travail rapidement risque d’entraîner retards, pénalités contractuelles et surcoûts logistiques, le télétravail étant peu adapté à des missions sur site.
Autre conséquence : pression sur les PME. La majeure partie des quelque 6 000 « acteurs » français liés au marché algérien sont des PME (et non des multinationales). Ces structures disposent souvent d’une trésorerie limitée et d’un réseau local réduit ; elles sont donc les plus exposées à l’arrêt de commandes, à l’allongement des délais de paiement ou aux restrictions d’accès au marché. Enfin, les chaînes d’approvisionnement et substitution. La crise diplomatique a déjà poussé Alger à diversifier ses fournisseurs (blé, matériel, certains équipements industriels), au bénéfice d’autres pays européens et de fournisseurs émergents. À court terme, des segments d’activité (meunerie/agro-alimentaire, matériel agricole, pièces détachées) peuvent être perdus pour les exportateurs français s’ils ne retrouvent pas rapidement un accès normalisé au marché. Aussi, les mesures de réciprocité annoncées par Alger (réexamen d’accords, refus de facilités consulaires) peuvent se traduire par des obstacles aux implantations françaises — procédures plus longues, contrats publics réattribués, visibilité réglementaire réduite.
Michel Bisac, président de la Chambre de commerce et d’industrie algéro-française (CCIAF), cité par des médias algériens, n’a pas caché récemment sa préoccupation à propos de l’impact de la crise diplomatique entre Alger et Paris sur la dynamique des entreprises françaises. Il rappelle que la plupart des entreprises actives sur le marché algérien sont des PME fragiles et que la perte accélérée de parts de marché constituerait une perte durable pour de nombreuses sociétés françaises. D’autres voix signalent aussi l’impact déjà observé — baisse ponctuelle de commandes, annulations d’appels d’offres, difficultés de recrutement d’experts expatriés.
Les estimations de « pertes » nettes sont rarement consolidées et varient fortement selon les secteurs. D’après un article du Figaro datant de Mai dernier, les exportations françaises vers l’Algérie ont enregistré un recul significatif au premier trimestre de l’année en cours. Les statistiques des douanes françaises indiquent une chute de 18 à 25 % des exportations françaises à destination de l’Algérie entre janvier et mars 2025, comparativement à la même période en 2024. Les ventes de produits tricolores ont ainsi diminué d’environ 20 %, passant de 1,25 milliard d’euros à 992 millions d’euros.
Des secteurs ponctuels ont déjà subi des ruptures : par exemple, des marchés de blé et certains lots agroalimentaires ont été réattribués à d’autres fournisseurs ces derniers mois, entraînant des manques à gagner pour des exportateurs français, certains articles de presse évoquant des pertes sectorielles allant de dizaines à plusieurs centaines de millions d’euros selon le segment.
La décision française d’« activer » des leviers liés aux visas et la réponse d’Alger exacerberont très vraisemblablement des coûts pour les entreprises françaises — non seulement en termes financiers directs (pertes de commandes, retards), mais aussi en termes de compétitivité à moyen terme si la diversification des fournisseurs par l’Algérie se confirme. Les PME — nombreuses sur ce front — sont les plus exposées. Reste la variable politique : une désescalade diplomatique est le levier le plus puissant pour limiter des pertes durablement coûteuses.