Alors que le Maroc entre dans une phase politique incertaine, un groupe de hackers nommé Jabaroot bouleverse les équilibres du royaume. Derrière une façade algérienne vite abandonnée, cette opération numérique d’envergure cible les rouages internes du pouvoir, révélant des pratiques opaques et des fortunes dissimulées. Une cyberguerre qui semble moins étrangère qu’intérieure — et qui pourrait bien redessiner les contours de l’après-Mohammed VI.
Depuis le début de l’année 2025, le mystérieux groupe de hackers Jabaroot DZ a fait irruption dans le paysage numérique maghrébin en orchestrant une série de fuites massives visant des institutions et des dignitaires marocains. Le choix du nom de domaine dz et la référence à une réplique à des opérations de hacking marocaines ciblant notamment le piratage du compte X (ex-Twitter) de l’agence APS laissaient entendre qu’il s’agit d’un groupe algérien. Mais au fil des révélations et de leur ampleur, cette paternité algérienne apparait de moins en moins crédible. La lecture des données divulguées et des cibles choisies conforte plutôt l’idée d’une opération venant de l’intérieur, déguisée en cyberguerre extérieure, visant à fragiliser certains piliers du régime sans jamais toucher à son noyau monarchique.
Des institutions mises à nu
Les observateurs ont d’ailleurs noté que le groupe Jabaroot n’utilise plus l’extension Dz, comme s’il prenait acte, sans le dire formellement, de son caractère marocain. Il n’est pas inutile de noter que ces révélations qui mettent en émoi les hauts dignataires du Makzen – et au-delà – interviennent dans un contexte de “fin de règne” de Mohamed VI. De là, à penser que ces révélations sont destinées à peser sur la composition future du premier cercle du futur roi, il n’y a qu’un pas, que beaucoup n’hésitent pas à franchir. L’ampleur inédite des informations révélées par Jabaroot qui a ciblé aussi bien des institutions que de dignitaires tend à le confirmer.
Les organes centraux de l’administration marocaine ont été ciblées. La CNSS (Caisse nationale de sécurité sociale) avec plus de 53 000 fichiers publiés, révélant les salaires de près de 2 millions de salariés et les données de 500 000 entreprises. Le ministère de l’Emploi, le ministère de l’Agriculture, et le ministère des Relations avec le Parlement ont également été ciblés, avec des documents internes révélant des primes, des contrats et des montages financiers.
L’Ordre des notaires a vu plusieurs téraoctets de données exfiltrées, notamment sur des transactions immobilières et des patrimoines dissimulés.
Fortunes occultes et enrichissements suspects
C’est le haut du panier du Makhzen qui est mis à nu avec des révélations sur des fortunes amassées par de hauts responsables en marge de leurs fonctions officielles. Un cyber-dossier explosif dévoilant des montages financiers opaques, des acquisitions immobilières de luxe et des salaires fictifs versés par des institutions publiques.
Si le roi et sa famille sont épargnés à ce jour, la rémunération de son secrétaire particulier, Mohamed Mounir El Majidi, laisse songeur. Ce gestionnaire des finances royales percevrait un salaire mensuel de 1,3 million de dirhams (120 000 €uros) versé par la CNSS, bien au-delà des standards administratifs. Depuis 2003, sa fortune aurait atteint 185 millions de dirhams (18,5 millions €), grâce à des placements immobiliers et des sociétés liées au palais.
Mohamed Raji, Responsable clé du renseignement intérieur (DGST), Raji est surnommé “Monsieur Écoute” pour son rôle dans la surveillance numérique du royaume. Officiellement rémunéré à hauteur de 25 000 dirhams/mois (2 300 €), il aurait pourtant acquis une zone industrielle à Béni Mellal pour 30 millions de dirhams (2,8 millions €). Selon les documents de Jabaroot, il aurait perçu des touché des commissions sur des contrats d’espionnage avec des pays européens, et investi dans des sociétés écrans en France pour dissimuler ses avoirs.
Abderrahim Hamidine, Chef de la DST à Casablanca, Hamidine aurait acquis une villa avec piscine dans le quartier très huppé de California. Le cout de la propriété est formellement incompatible avec son statut de fonctionnaire. Les révélations pointent vers des pratiques d’enrichissement personnel à travers des détournements de fonds et des faveurs politiques.
Abdellatif Ouahbi, le ministre de la justice a minimisé les alertes de Jabaroot sur la corruption dans le secteur judiciaire, Jabaroot lui a répondu directement en l’accusant de complicité passive et de protection d’un système gangrené. A la clé de la réponse, des s documents internes embarrassants.
Un appareil sécuritaire “incontrolable”
Ces révélations s’inscrivent dans un contexte de lutte de pouvoir entre la DGED et la DGST, les deux piliers du renseignement marocain. La fuite de Mehdi Hijaouy, ancien cadre de la DGED réfugié en Espagne, puis disparu dans la nature faute d’avoir obtenu des assurances, ont précipité une purge orchestrée par Abdellatif Hammouchi, patron de la DGST. Des dizaines d’arrestations ont suivi, visant les proches de Hijaouy, accusé de détenir des secrets explosifs sur le régime.
Jabaroot sans dz a tiré les conclusions politiques de ses révélations : « L’appareil (sécuritaire) usé censé protéger le Maroc n’est rien d’autre qu’un outil incontrôlable destiné à protéger les corrompus, à faire taire les voix et à vendre les secrets du royaume à prix cassés, hypothéquant ainsi l’avenir du Maroc”.