Dans les zones forestières de Kabylie, à Yakouren comme ailleurs, la chasse est aujourd’hui marquée par l’incertitude. Non pas par manque de gibier, mais à cause d’une pénurie persistante de munitions qui dure depuis près de deux ans. Une situation qui met les chasseurs face à un paradoxe permanent : être connus des autorités, mais exposés à de lourdes sanctions au moindre écart.
« Ces deux dernières années, les munitions sont introuvables. Certains vont jusqu’à payer la cartouche 500 dinars, soit une augmentation de 50 % par rapport à la période du Covid », raconte Omar, chasseur connu de la région de Yakouren. À cela s’ajoute un climat de crainte : « Même si la Sûreté nationale sait qu’il existe des chasseurs en Algérie, si on te trouve avec une cartouche, tu risques jusqu’à cinq ans de prison ». Pour lui, cette pénurie dépasse le cadre de la chasse : « Même dans les mariages, on n’a plus de munitions, alors que c’est un rituel en Kabylie ».
La FPA, moment de bascule politique?
Ce malaise ancien a trouvé un écho inattendu lors de la 33ᵉ édition de la Foire de la production algérienne (FPA), organisée à la Safex. Devant le pavillon de l’ANP, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a tenu des propos qui marquent un tournant. « L’industrie militaire incarne le patriotisme et allie qualité, technologies de pointe et autosuffisance », a-t-il affirmé, ouvrant la voie à une structuration officielle d’un secteur longtemps laissé à la marge.
Sur le terrain industriel, les signaux sont clairs. À l’Établissement de construction mécanique de Khenchela (ECMK), la préparation est déjà avancée. « Ce fusil de chasse est en étude depuis trois ans. Aujourd’hui, toute la chaîne de production est prête et nous pouvons répondre facilement à la demande du marché local », explique le représentant du stand. Concernant les prix, il se veut rassurant : « On ne peut pas encore se prononcer officiellement, mais ça ne sera pas cher, c’est sûr ». Il insiste cependant sur une condition essentielle : « Suite aux instructions du président, il faut mettre en place une procédure complète et un texte de loi pour organiser cette vente. Sans cadre juridique, ce n’est pas possible pour l’instant ».
Même constat du côté de l’Office national des produits explosifs. « Avant, nous vendions déjà de petites quantités aux associations de chasseurs, toujours dans un cadre légal », rappelle une source de l’Office. « Avec cette nouvelle décision, cette activité va connaître une nouvelle dynamique. Il ne manque que le cadre juridique. Les munitions sont disponibles, en quantité et en qualité ».
Sécurité, économie et lutte contre l’informel
Le président Tebboune a tenu à préciser que la commercialisation sera « strictement encadrée » et passera par la Fédération nationale des chasseurs, seule habilitée à centraliser les commandes des fédérations de wilaya, hormis quelques cas exceptionnels.
Au-delà de la chasse, l’enjeu est économique et sécuritaire. Organiser la production et la vente de fusils et de munitions, c’est réduire le marché noir, limiter la circulation d’armes sans papiers et créer une valeur ajoutée nationale durable. Une décision tardive, mais stratégique, qui pourrait enfin répondre à une réalité longtemps ignorée.