Le gouvernement algérien projette l’entrée de Naftal, filiale de Sonatrach spécialisée dans la distribution de carburants, sur le marché mauritanien. L’initiative s’inscrit dans la volonté d’Alger de transformer progressivement son secteur aval en levier d’exportation régionale de produits raffinés, après avoir atteint l’autosuffisance et dégagé, en 2025, des excédents.
Le marché visé demeure toutefois modeste : la Mauritanie consomme un peu plus d’un million de tonnes de produits pétroliers par an (près de 20 millions pour l’Algérie), essentiellement du gasoil et du fioul, destinés au transport, à la production d’électricité et aux activités minières. Entièrement dépendant des importations, l’aval local est structuré autour de deux acteurs dominants : le groupe marocain Akwa – Afriquia, qui a repris en 2023 le réseau de TotalEnergies Mauritanie (près de 40 stations à l’échelle nationale), et Star Oil, opérateur mauritanien à l’empreinte de plus en plus régionale. C’est dans ce paysage déjà organisé que Naftal envisage de se positionner.
Quand l’aval africain se construit à l’échelle régionale
L’histoire récente de la distribution de carburants en Afrique montre que les acteurs qui ont réussi sont ceux qui ont parié tôt sur l’expansion transfrontalière. Le modèle économique de la filière est désormais bien connu : marges unitaires faibles, souvent encadrées par les États, mais volumes récurrents, rendant l’activité rentable à condition de disposer d’une échelle suffisante et d’une logistique robuste (stockage, transport, infrastructures portuaires et routières). C’est avant tout un métier de flux, bien plus qu’un secteur de rentabilité spectaculaire.
Trois exemples illustrent cette réussite. Le plus emblématique est celui d’OLA Energy, anciennement OiLibya : en rachetant, dans les années 2000, les réseaux africains de Shell et d’ExxonMobil, le groupe libyen a bâti un portefeuille présent dans plus de quinze pays, avec plusieurs milliers de stations. Malgré la situation chaotique du secteur énergétique libyen, sa branche aval africaine a dégagé des bénéfices stables : environ 11 millions d’euros de résultat net en 2022, près de 30 millions en 2023 et plus de 34 millions en 2024. L’africanisation du downstream a donc démontré sa viabilité financière.
Autres trajectoires réussies : celle d’Engen, compagnie sud-africaine devenue multirégionale avant son intégration dans Vivo Energy, et celle d’Oando / OVH Energy en Afrique de l’Ouest, dont le réseau nigérian et sous-régional s’est avéré suffisamment stratégique pour attirer des partenaires internationaux. Dans tous ces cas, la clé résidait dans la combinaison d’un vaste maillage territorial, d’un contrôle étroit de la chaîne logistique et d’une capacité à accepter des rendements modérés mais réguliers.
Acheter plutôt que construire : une voie obligée pour Naftal ?
Face à ces précédents, la question centrale demeure : Naftal peut-elle se contenter d’implanter ex nihilo quelques stations, ou doit-elle, comme ses homologues africains, procéder à l’acquisition d’un réseau existant ? L’expérience montre que le rachat constitue souvent le moyen le plus rapide d’atteindre une masse critique immédiatement rentable. OLA Energy, Engen ou Afriquia ont tous bâti leur expansion sur l’acquisition d’actifs cédés par les majors (TotalEnergies, Shell, ExxonMobil, BP, etc.).
Ces cessions ne traduisent pas une non-rentabilité structurelle de l’aval africain. Elles reflètent plutôt une réorientation stratégique des grands groupes pétroliers internationaux, qui privilégient désormais l’amont, la pétrochimie ou les énergies renouvelables, et arbitrent des actifs jugés insuffisamment rémunérateurs au regard de leurs standards financiers. Ces réseaux demeurent néanmoins attractifs pour des acteurs régionaux plus enclins à accepter des rendements limités mais prévisibles.
En Mauritanie, l’espace pour ce type d’opération est restreint. Le principal actif disponible — l’ancien réseau Total — est désormais propriété d’Afriquia. Il reste une constellation de stations indépendantes, dispersées et faiblement structurées, dont la consolidation nécessiterait du temps et de lourdes démarches réglementaires. Une stratégie de croissance organique lente exposerait Naftal à une concurrence solidement installée, avec le risque de ne jamais atteindre la taille critique indispensable à la rentabilité.
Les atouts — et les risques — du pari mauritanien
Naftal dispose néanmoins d’atouts spécifiques. L’Algérie est devenue exportatrice nette de produits raffinés, positionnant naturellement Naftal comme fournisseur potentiel pour l’Afrique de l’Ouest, la Mauritanie pouvant servir de point d’entrée vers cette sous-région. Par ailleurs, la raffinerie d’Adrar, située dans le Sud-Ouest algérien, offre un avantage géographique notable pour l’approvisionnement du nord mauritanien, à des coûts potentiellement inférieurs aux chaînes logistiques maritimes. L’enjeu majeur demeure le développement effectif du corridor routier Tindouf–Zouerate, destiné à relier directement les deux pays. À cela s’ajoute un soutien politique bilatéral, susceptible de faciliter l’accès au marché et l’obtention des autorisations d’implantation.
Mais les risques restent conséquents. Le marché mauritanien demeure étroit, fortement régulé et dépendant des décisions de l’État en matière de prix. La concurrence d’Afriquia et de Star Oil, déjà bien implantées, exercera une pression durable sur les marges. Sans réseau significatif ou contrats industriels structurants (mines, centrales électriques, grands opérateurs logistiques), Naftal pourrait se retrouver prisonnière de volumes insuffisants pour rentabiliser ses investissements.
Au final, l’entrée de Naftal en Mauritanie apparaît comme un pari cohérent sur les plans industriel et géopolitique, mais financièrement délicat. Le succès dépendra bien moins d’un soutien politique que de la capacité du groupe à reproduire rapidement les recettes éprouvées de l’aval africain : constitution d’une taille critique, maîtrise rigoureuse de la logistique, discipline économique stricte sur un marché où la stabilité prévaut toujours sur la rentabilité des marges.