Le patron de Naturgy était à Alger jeudi pour négocier avec Sonatrach. Officiellement, il était question de gaz, de renouvelables et d’une “alliance stratégique de longue durée”. Officieusement, Madrid veut surtout consolider ses approvisionnements énergétiques dans une région où les équilibres diplomatiques sont fragiles.
Sur place, Francisco Reynés a rencontré Mohamed Arkab, ministre de l’Énergie, et Noureddine Daoudi, fraîchement nommé à la tête de Sonatrach. D’après l’APS qui a rapporté la visite, il s’agissait de « renforcer les liens avec un partenaire historique ». Une formule consensuelle pour une réalité plus rugueuse.
Parce que l’Europe court après le gaz depuis le début de la guerre en Ukraine, et que l’Algérie le sait, que l’Espagne a pris position sur le Sahara occidental en se rapprochant du Maroc, ce qui a refroidi Alger et qu’aujourd’hui, Madrid a besoin de rassurer son voisin du sud. Le gaz, dans cette histoire, c’est autant une marchandise qu’un langage diplomatique.
Du gaz, oui, mais plus seulement
Les discussions ont porté sur “l’approvisionnement en gaz”, écrit l’APS, mais aussi sur bien d’autres choses. Naturgy et Sonatrach veulent “réviser l’état actuel et les perspectives de coopération”, notamment dans la commercialisation du gaz naturel. Fait nouveau : les deux groupes envisagent pour la première fois depuis des années “d’explorer ensemble de nouvelles activités au-delà du gaz”. Les énergies renouvelables sont sur la table, tout comme le gazoduc Medgaz qui relie directement l’Algérie à Almeria.
Mohamed Arkab a salué “la solidité des relations entre les deux sociétés” et affirmé “la disponibilité de Sonatrach” à approfondir le partenariat, selon l’agence. Des sources du secteur énergétique algérien parlent même de construire une “alliance stratégique de longue durée”.
Il faut rappeler que l’histoire entre Naturgy et Sonatrach remonte à 1965, date de leur premier contrat commercial. Sonatrach a longtemps été le premier fournisseur de gaz de Naturgy. Comme Naturgy est le premier distributeur de gaz en Espagne, l’Algérie devient mécaniquement le principal fournisseur gazier du pays. Les deux groupes cogèrent des infrastructures cruciales : le gazoduc Maghreb-Europe (qui traverse le Maroc) et le Medgaz, tracé sous-marin direct entre les deux rives de la Méditerranée.
Sauf que pendant des décennies, cette coopération s’est cantonnée aux hydrocarbures. Sonatrach, détenu à 100% par l’État algérien, n’en sortait pas. Aujourd’hui, Alger veut élargir le spectre. Calcul économique ? Manière de rappeler à Madrid que l’Algérie compte aussi dans les énergies de demain ? Les deux, sans doute.
Quand le gaz devient un casse-tête diplomatique
La visite de Reynés arrive dans un contexte sensible. En 2021, Alger a rompu avec le Maroc et décidé de ne pas renouveler le contrat du gazoduc Maghreb-Europe, coupant ainsi le transit du gaz algérien vers le royaume chérifien. L’Espagne s’est retrouvée contrainte de s’appuyer davantage sur le gazoduc Medgaz ou sur l’Asie pour ses approvisionnements.
Le changement de position de Madrid sur le Sahara occidental, aligné sur Rabat, a provoqué une crise diplomatique il y a deux ans. Petit à petit, les tensions se sont apaisées. Alger et Madrid tentent de normaliser leurs relations après des mois d’accrochages.
C’est dans ce climat qu’un accord a été signé en 2022 entre Sonatrach et Naturgy pour réviser les prix des contrats de gaz à long terme. Une manière de s’adapter aux nouvelles réalités du marché tout en sécurisant les livraisons espagnoles. Sur les dix dernières années, Sonatrach a fourni à son client espagnol 83 milliards de mètres cubes de gaz.
Mais les négociations sur les prix n’ont jamais été simples entre les deux groupes. Actuellement, ils discutent de la période 2025-2027. Par le passé, les désaccords ont mené à des arbitrages coûteux. L’un d’eux s’est même soldé par un paiement en actions de Naturgy à Sonatrach, qui détient aujourd’hui 4% du capital du groupe espagnol.
Aujourd’hui, l’Espagne doit garder de bonnes relations avec l’Algérie sans pour autant braquer le Maroc. L’Algérie, elle, sait qu’elle dispose d’une position stratégique enviable dans une Europe en quête de sécurité énergétique. D’autant que Bruxelles s’apprête à interdire le gaz russe dans l’Union européenne, ce qui pousse Naturgy à réorganiser ses approvisionnements.





