Dans cet entretien accordé à Maghreb Émergent, Smain Lalmas livre son analyse de la situation économique de l’Algérie à la lumière des nouvelles orientations du gouvernement, notamment le projet de loi sur les mines et la nouvelle phase de baisse des prix du baril sur le marché mondial.
Commençons par vos récentes déclarations. Vous avez souligné la nécessité de créer un ministère de l’Économie et de la Planification, car, je cite : « On ne sait plus qui décide de l’économie de ce pays. » Pourtant, sur le terrain, nous assistons à un retour à l’ère de la rigueur économique des années 70. Donc, on sait qui dirige l’économie, n’est-ce pas ?
Smain Lalmas : Il est vrai que, depuis quelque temps, les actions liées au développement économique semblent partir dans tous les sens. On ne comprend pas qui dirige ni quel organisme planifie. Et cela est très grave : l’économie d’un pays ne peut pas être gérée de manière hasardeuse.
“On revient à un dirigisme où les prix et les quantités sont dictés. On retourne à l’ère du monopole, et tout cela est inquiétant”
L’économie se planifie et se suit. Elle répond à des besoins et repose sur un modèle. La question est donc : quel modèle choisir aujourd’hui ? On revient, comme vous l’avez bien souligné, à un dirigisme où les prix et les quantités sont dictés. On retourne à l’ère du monopole, et tout cela est inquiétant, alors que, depuis une trentaine d’années, l’Algérie avait opté pour une économie qui ne croit pas aux prix fixés.
Je ne suis pas contre l’intervention de l’État, mais je suis pour une intervention qui sert à réguler certains aspects, comme, par exemple, les besoins du marché. Mais, mis à part cela, l’État devrait s’occuper de la planification et de l’organisation. Le rôle de l’État est de recenser les besoins et de mettre en place des stratégies pour développer une économie qui reste très fragile.
Souvent, des gens m’interrogent : « Notre économie est-elle toujours fragile ? » Je leur réponds oui, tant que notre économie dépend d’une ressource que nous ne contrôlons pas, à savoir les hydrocarbures, nous restons dans ce schéma. Hier, les prix étaient à 90 ou 80 dollars ; aujourd’hui, on parle d’un prix à 60 ou 65 dollars.
Le plafonnement des prix fait-il partie de ce rôle régulateur de l’État ?
Smain Lalmas : Tout dépend des produits concernés. S’il s’agit de produits subventionnés, il est évident que l’État doit intervenir pour réguler les prix, car il injecte de l’argent afin de maintenir ces prix à un niveau accessible, répondant ainsi aux besoins du pouvoir d’achat des citoyens.
En dehors des produits subventionnés, c’est normalement le marché qui doit jouer son rôle de régulateur. L’État peut intervenir autrement, mais pas en emprisonnant les gens. Il devrait plutôt mettre en place les moyens et les politiques nécessaires pour développer la production ou investir dans les produits manquants.
Par exemple, s’il y a un problème de disponibilité de produits agricoles, il faut instaurer une politique pour encourager les gens à développer cette activité ou à y investir. S’il y a un problème dans l’industrie, des mesures incitatives, comme la réduction des taxes, pourraient encourager l’investissement.
Au lieu d’incarcérer quelqu’un pour un carton de bananes, il serait plus judicieux de s’adresser aux importateurs à qui l’on a accordé des licences d’importation. Nous connaissons les prix de la banane sur le marché mondial — environ 0,55 dollar le kilo — donc, en Algérie, les prix ne devraient pas dépasser 120 à 130 dinars. Je ne connais pas un pays qui réussit avec une telle politique d’intervention de l’État.
Et l’intervention de l’État par l’importation de certains produits, tels que les moutons pour l’Aïd, fait-elle aussi partie de ce rôle régulateur ?
Smain Lalmas : Importer des moutons lorsqu’il y a une pénurie, oui, cela peut se justifier. Mais il ne faut pas en faire une politique nationale ou l’événement numéro un dans les médias nationaux. L’État peut procéder à l’importation d’un produit manquant pendant une période donnée, mais cela ne doit pas devenir une politique en soi.
Le véritable travail de régulation consiste à mettre en place une politique d’encouragement pour produire localement les moutons ou les produits manquants sur le marché.
Revenons à la baisse des prix du pétrole. L’Algérie a déjà fait face à ce genre de situation. Cette nouvelle baisse peut-elle affecter les ambitions du gouvernement de faire entrer l’Algérie dans le rang des pays émergents d’ici 2027 ?
Smain Lalmas : Une fois de plus, nous sommes confrontés à une crise mondiale, avec des décisions, notamment celles du président Trump, qui introduisent une incertitude sur le court et moyen terme. Ces perturbations affectent le prix du pétrole, et par conséquent, notre économie, qui repose encore largement sur les recettes pétrolières.
Cela fait des années que je le dis : il est impératif de sortir de cette dépendance. Mais pourquoi n’y parvenons-nous pas ? Où se situe le problème ?
Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ? Est-ce d’ordre politique ou technique ?
Smain Lalmas : Tout est lié à la politique, mais il y a aussi des aspects techniques. À partir de là, je pense qu’il faut vraiment s’inquiéter des recettes futures et des projections du gouvernement. Actuellement, il y a des projets à réaliser. Il y a quelque temps, j’avais évoqué la nécessité pour l’Algérie de recourir à des emprunts auprès de la Banque mondiale ou d’autres institutions financières. On m’a reproché cette proposition, en me disant : « Vous suggérez cela alors que nous avons des réserves de change de 70 milliards de dollars à l’époque. » Mais nous sommes membres de ces institutions monétaires et nous y contribuons financièrement. Autant en profiter.
“Il serait opportun de tirer parti de cette manne de 60 ou 70 milliards de dollars de réserves pour négocier un emprunt destiné à financer des projets d’investissement importants”
Ainsi, lorsque je sollicite un emprunt auprès du FMI ou de la Banque mondiale, c’est pour financer des projets bien définis, susceptibles de générer des revenus permettant de rembourser la dette. De plus, il est préférable de demander des fonds maintenant, tant que nous disposons de réserves. Il ne serait pas judicieux de solliciter un prêt lorsque nos réserves seraient épuisées. C’est ce que beaucoup ne comprennent pas.
Il serait donc opportun de tirer parti de cette manne de 60 ou 70 milliards de dollars de réserves pour négocier un emprunt destiné à financer des projets d’investissement importants, capables d’assurer le remboursement de cette dette. Si notre souveraineté nationale nous empêche d’agir ainsi, pourquoi alors cotiser au FMI ou aux banques mondiales et régionales ? Cela semble illogique.
La loi de finances 2025 a-t-elle prévu des revenus fiscaux pétroliers qui couvrent le déficit budgétaire ?
Smain Lalmas : Nous ne connaissons pas encore l’ampleur des perturbations au niveau des prix du pétrole, et tout est lié à la fiscalité pétrolière, qui constitue la majeure partie du budget de l’État. Nous allons attendre pour voir. Je sais qu’il y a un déficit prévu, mais je ne connais pas les chiffres exacts. La question est de savoir si ce déficit va encore creuser ou réduire nos réserves, sur lesquelles nous devrions compter pour construire un programme sur cinq ans.
Y a-t-il un risque de revenir encore une fois au financement non conventionnel ?
Smain Lalmas : Je ne sais pas si nous l’avons réellement arrêté. Honnêtement, je ne le pense pas. Je fais partie de ceux qui pensent que nous n’avons jamais cessé d’imprimer de l’argent. Vous vous rappelez, à un certain moment, il y avait un problème de liquidité dans les bureaux de poste. J’ai été invité par des citoyens pour discuter du problème, et je leur ai dit que c’était normal. Pourquoi ? Parce que c’est comme un tonneau percé : vous ne pourrez jamais le remplir avec de l’eau.
C’est ce qui se passe avec notre système financier, qui est absorbé par le secteur informel. Vous retirez votre salaire, par exemple, pour acheter le mouton de l’Aïd, et vous versez automatiquement votre salaire dans l’informel, car celui qui vous vendra le mouton ne vous donne pas de facture. C’est valable pour tout le secteur agricole. C’est un secteur qui verse totalement dans l’informel.
“Tout ce qui sort du circuit formel pour aller dans l’informel doit être remplacé en imprimant de l’argent pour payer les salaires, etc”
Si vous faites un petit raisonnement, que paie-t-on avec une facture chez nous ? L’électricité, le gaz et le téléphone. Tout le reste verse dans l’informel. Alors, comment peut-on faire face à nos besoins d’argent ? Eh bien, tout ce qui sort du circuit formel vers l’informel, on doit le remplacer par de l’argent pour justement payer les salaires, etc.
C’est pour cela que je dis que nous ne sommes pas encore sortis de cette politique qui nous cause beaucoup de problèmes, et c’est pour cela que la valeur du dinar s’est dépréciée. Dans les pays développés, on choisit de réduire au maximum la disponibilité de la liquidité sur le marché. Tout se fait par canal bancaire, pour donner plus de valeur à la monnaie.
Des restrictions ont été décidées sur les importations, notamment concernant les matières premières. Aujourd’hui, nous assistons à l’annulation de ces décisions. Est-ce la remise en cause d’une politique ?
Smain Lalmas : Tout citoyen ou responsable soucieux de l’intérêt national doit penser à protéger la production locale. En protégeant notre production, nous préservons l’emploi et le pouvoir d’achat. J’ai toujours plaidé pour une protection raisonnée de la production nationale.
Cependant, les restrictions doivent s’inscrire dans un programme cohérent. Ce n’est pas ce qui a été fait. On a bloqué sans discernement, y compris l’importation de matières premières, sous prétexte que certains importateurs les détournaient vers la revente en l’état. On a oublié que les PME et PMI ne peuvent pas importer directement leurs intrants et dépendent de ces importateurs. Les conséquences ont été désastreuses. Les conséquences de l’interdiction de l’importation des matières premières étaient désastreuses.
Même le président de la République a dû intervenir pour lever l’interdiction sur les matières premières, soulignant qu’il ne fallait pas entraver les industries vitales. J’avais dénoncé cette politique hasardeuse dans une émission, et j’ai reçu des appels de partout, certains pensant que j’étais à l’origine de cette décision présidentielle.
Cela illustre le besoin urgent d’un véritable ministère de l’Économie, avec une direction de la planification, pour recenser les besoins du pays et élaborer des plans d’investissement. Il est impératif de ne plus laisser l’économie entre les mains de personnes sans expertise économique.
“Le projet de loi minière ne constitue pas une dénationalisation, cependant donner un secteur aussi stratégique à des entités comme l’ANSEJ est préoccupant”
Un nouveau projet de loi minière est en cours. S’apprête-t-on à une dénationalisation ?
Smain Lalmas : L’ouverture du secteur minier avec l’obligation d’une participation de l’entreprise nationale à hauteur de 20 %, ne constitue pas une dénationalisation. Cependant, confier un secteur aussi stratégique à des entités comme l’ANSEJ est préoccupant. L’or, par exemple, est une richesse nationale qu’on ne peut pas gérer à la légère.
Il est essentiel que l’exploitation minière réponde à des normes rigoureuses. Si nous ne sommes pas en mesure de le faire seuls, nous devons établir des partenariats solides avec des acteurs réputés. Concernant les terres rares, leur exploitation nécessite au moins 15 ans. Il est donc crucial de commencer dès maintenant, en collaborant avec des partenaires expérimentés, comme la Chine, les États-Unis, l’Ukraine ou la Russie. Le projet de loi minière ne constitue pas une dénationalisation, cependant donner un secteur aussi stratégique à des entités comme l’ANSEJ est préoccupant.
Pour conclure, Monsieur Lalmas, quels sont les secteurs susceptibles de porter l’économie algérienne à l’avenir ?
Smain Lalmas : C’est une question en apparence simple, mais en réalité très complexe. Si vous interrogez certains responsables, ils vous diront que l’Algérie est un pays à vocation agricole, ou autre. Mais pour répondre sérieusement, il faut un diagnostic sectoriel approfondi.
Nous devons identifier les forces, les faiblesses, le potentiel, la disponibilité et les compétences de chaque secteur. Malheureusement, au sein des ministères, peu de responsables connaissent réellement les données de leur secteur.
J’ai été satisfait de voir que le ministère de l’Agriculture a entrepris un recensement de notre cheptel. On parlait de 25 millions de moutons, puis de 20 millions, alors qu’il s’avère qu’il y en a beaucoup moins.
De même, on évoque 37 milliards de dollars de production agricole, mais on ne sait pas quelle institution a établi ce chiffre, ni comment. C’est pareil pour les 400 milliards de dollars de PIB ou les 30 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures en 2029 ou 2030.
Ces chiffres doivent être accompagnés d’analyses et de justifications solides. Nous ne parlons pas à des novices ; il y a des experts dans ce pays. Il est temps d’adopter une approche rigoureuse et méthodique pour construire une économie solide et durable.