L’échec des motions de censure contre le gouvernement Lecornu et l’éloignement d’une dissolution de l’Assemblée nationale prolongent le statu quo politique français. Mais la progression durable du Rassemblement national entretient une question stratégique pour Alger : que se passerait-il si l’extrême droite accédait au pouvoir ?
Au-delà du choc diplomatique, ce scénario pourrait enclencher un mouvement sélectif de retours ou de relocalisations de compétences vers l’Algérie – un « effet Luca Zidane » élargi à l’économie, à la recherche et à l’entrepreneuriat.
De la pelouse aux laboratoires et aux start-up
Le choix récent – après ceux, anciens, de Riad Mahrez, de Sofiane Feghouli et de tant d’autres – de Luca Zidane, binational, de jouer pour l’équipe d’Algérie illustre une identité assumée : faire de l’origine un espace d’expression quand l’environnement français paraît se refermer.
Ce réflexe, visible dans le sport, pourrait s’étendre à d’autres domaines si le RN remportait l’Élysée en 2027, voire Matignon avant cette échéance.
Trois secteurs apparaissent les plus exposés.
D’abord, l’entrepreneuriat technologique : plusieurs profils franco-algériens intégrés à la French Tech envisageraient de transférer leurs projets et capitaux vers les pôles numériques d’Alger, Oran ou Sétif.
Ensuite, la santé, en tension en France, où le retour de praticiens formés dans l’Hexagone pourrait renforcer le système hospitalier et privé algérien, à condition que l’État clarifie les équivalences de diplômes et les incitations.
Enfin, l’enseignement supérieur et la recherche, domaines où la diaspora scientifique réclame depuis des années un cadre de coopération stable et dépolitisé.
Xénophobie montante et réflexe identitaire
La montée de l’islamophobie et des discours anti-maghrébins en France nourrit une logique de désaffiliation.
Une partie des jeunes binationaux qualifiés se projette vers des espaces perçus comme plus ouverts, souvent le pays d’origine familial.
Un sondage YouGov de 2017 indiquait que 20 % des Français se disaient prêts à s’expatrier si une élection produisait un résultat jugé inacceptable. En appliquant ce ratio à la population d’ascendance algérienne – environ deux millions de personnes – le potentiel de mobilité atteindrait entre 80 000 et 150 000 individus, dont 20 000 à 60 000 pourraient choisir l’Algérie si le contexte s’y prête.
Un « brain gain » sous conditions
Pour Alger, l’enjeu n’est pas de gérer un peu probable retour massif, mais de capter un flux qualitatif : chercheurs, ingénieurs, entrepreneurs, médecins.
Ce mouvement, limité mais structurant, pourrait accélérer la modernisation de secteurs clés comme les énergies renouvelables, la santé ou le numérique.
Des instruments existent déjà : visa « retour de compétences », exonérations fiscales temporaires, incubateurs mixtes avec la diaspora.
Un afflux de 30 000 profils hautement qualifiés pourrait, selon plusieurs estimations, accroître, sous certaines conditions requises, de 1 à 2 % la productivité de segments industriels ou scientifiques sur cinq ans.
Pour un environnement d’accueil crédible
L’Algérie ne transformera ce scénario en atout que si elle offre des garanties solides : stabilité réglementaire pour les investisseurs et chercheurs, sécurité juridique pour les binationaux, simplification administrative pour la création d’entreprises et la circulation des capitaux.
Sans ces conditions, les retours resteront temporaires ou se détourneront vers le Canada, l’Espagne ou les pays du Golfe.
Diplomatie froide, intérêt constant
Une victoire du RN durcirait le climat bilatéral : visas, mémoire, coopération sécuritaire. Mais les interdépendances – énergie, commerce, diaspora – maintiendraient un canal de dialogue.
Pour Alger, engoncée dans une nette dégradation de sa relation avec Paris, l’enjeu n’est pas tant d’attendre la rupture, que d’anticiper la redéfinition des liens : transformer la crise identitaire française en levier de développement national.
De la symbolique à la stratégie
L’exemple Luca Zidane, dont le père, Zineddine, a joué pour la France, montre que le symbole du retour peut devenir projet collectif.
Si cette logique d’identité choisie s’étend à l’économie et à la science, l’Algérie pourrait se muer en refuge productif pour une génération issue de France, marginalisée mais formée dans les meilleures institutions.
Le sursis politique de Paris n’est peut-être que temporaire. Pour Alger, il est déjà temps de planifier et de transformer la crainte d’un virage français en opportunité nationale.