Le rapport annuel 2024 de la Fiscalía General del Estado, le parquet général espagnol, dresse un constat préoccupant sur la place de l’Algérie dans les dynamiques migratoires et criminelles en Méditerranée occidentale. Ce document officiel, dont les conclusions ont été largement relayées par la presse espagnole, met en lumière une transformation profonde et inquiétante des routes et des méthodes des organisations criminelles. Il révèle que l’Algérie n’est pas seulement un territoire de départ pour les migrants irréguliers, mais également un point névralgique pour un trafic hybride de personnes et de stupéfiants.
La réinvention des routes criminelles : un trafic à double sens
Le rapport de la Fiscalía et les enquêtes journalistiques détaillent un phénomène criminel en pleine mutation. Les organisations ne se contentent plus d’opérer des traversées directes depuis les côtes algériennes vers l’Espagne. Elles ont mis en place un schéma logistique beaucoup plus sophistiqué. Comme l’indique la Fiscalía, les réseaux « ont modifié leurs routes, optant pour avoir le point de sortie sur nos côtes et, après avoir recueilli les migrants sur les côtes algériennes, revenir vers notre pays« . Certaines embarcations partent donc des côtes espagnoles, se rendent en Algérie pour y embarquer des migrants, puis retournent en péninsule Ibérique.
Cette stratégie permet une optimisation des voyages, réduit les risques d’interception et, surtout, fusionne deux trafics majeurs. Ces trajets sont assurés par des « pateras-taxi » ou des « narcolanchas », des embarcations rapides, semi-rigides et équipées de moteurs puissants, souvent acquises en Espagne ou dans d’autres pays européens en raison de leur faible disponibilité en Afrique du Nord.
Ces bateaux servent simultanément au transport des migrants et des stupéfiants. La presse espagnole insiste sur cette réalité, évoquant des réseaux qui « transportaient de la drogue vers l’Algérie, puis ramenaient des migrants illégaux en Espagne« . Il est même mentionné l’envoi de cocaïne et de pilules de synthèse vers l’Algérie.
Cette fusion logistique a donné naissance à de nouvelles structures clandestines sur le littoral espagnol, appelées « guarderías ». Ces caches ne sont pas de simples abris : elles « servent à cacher non seulement les migrants en attente, mais aussi les patrons de bateaux et les embarcations elles-mêmes« . C’est un maillon essentiel de la chaîne criminelle qui matérialise l’hybridation des flux migratoires et du trafic de drogue.
Le phénomène préoccupant des mineurs algériens
Un des points les plus frappants du rapport de la Fiscalía concerne l’afflux de mineurs étrangers non accompagnés (MNA). En 2023, l’Espagne a enregistré 4 865 mineurs arrivés par voie maritime, soit près du double de l’année précédente. L’Algérie est la quatrième nationalité la plus représentée, avec 472 enfants recensés. Un fait particulièrement complexe est que 163 de ces mineurs algériens sont arrivés « accompagnés d’adultes se présentant comme leurs parents », ce qui rend difficile la vérification de leur identité et complique leur prise en charge.
La situation est d’autant plus complexe que, selon le parquet de la Communauté valencienne, la délivrance tardive des passeports algériens, « retardée jusqu’à la majorité », constitue un obstacle majeur à l’intégration de ces jeunes dans le système espagnol. Cette spécificité administrative algérienne entrave directement la capacité des autorités espagnoles à leur offrir une prise en charge durable et à s’assurer de leur identité réelle.
Impasse sur les expulsions
Le rapport souligne les difficultés de coopération avec les autorités algériennes sur le sujet des expulsions. L’Espagne est confrontée à une impasse diplomatique qui empêche l’exécution des ordres de retour. Les données d’Eurostat pour le troisième trimestre 2024 illustrent ce problème : sur les 13 645 ordres d’expulsion émis par l’Espagne, seulement 3 160 personnes ont été effectivement renvoyées.
Les Algériens sont particulièrement concernés, représentant 10 % de l’ensemble des ordres d’expulsion émis dans l’Union européenne, ce qui en fait la nationalité la plus ciblée. Malgré cela, le taux de retour effectif des Algériens est très faible « en raison du manque de coopération consulaire », note le rapport. Pour les autorités espagnoles, des milliers de décisions d’expulsion restent ainsi lettre morte, faute d’accords bilatéraux efficaces ou de la volonté politique nécessaire côté algérien pour faciliter ces retours.
Le rapport de la justice espagnole brosse un tableau complexe et alarmant. L’Algérie est désignée comme un acteur majeur dans le trafic migratoire mais elle est également un déversoir de drogues.