La crise de l’essence à Tamanrasset n’est pas nouvelle, mais depuis le début de l’année, elle s’est dramatiquement aggravée. Les files d’attente devant les stations encore ouvertes s’étendent sur plusieurs kilomètres, parfois pendant des jours. Sous le soleil brûlant du Sahara, les conducteurs campent dans leur véhicule dans l’espoir d’obtenir quelques litres d’essence ou de gasoil.
La ville vit désormais au rythme des ruptures et de la spéculation. Sur le marché noir, un jerrican de 70 litres se négocie jusqu’à 15 000 dinars, soit plus du triple du prix officiel. Une flambée qui accentue la précarité sociale. « Depuis le ramadan, c’est devenu un enfer. Il faut attendre des journées entières pour faire le plein. On travaille moins, on gagne moins, et tout coûte plus cher », se désole un commerçant du centre-ville.
Un quotidien façonné par l’incertitude
À Tamanrasset, l’essence conditionne tout. Chaque matin, dans les administrations, au marché, l’angoisse du carburant supplante toutes les préoccupations.
Les cafés se transforment en centres névralgiques de l’information, où circulent en boucle les dernières rumeurs : « La station de l’est a reçu une citerne ». Cette gestion informelle, alimentée par l’absence de communication officielle, renforce le sentiment d’abandon.
La vie économique en pâtit lourdement. Artisans, agriculteurs, commerçants et chauffeurs voient leur activité s’effondrer. « Je ne peux plus livrer mes clients, je rate des commandes, et je perds de l’argent tous les jours », confie un boulanger du quartier d’Adrian. « L’essence est devenue une obsession. Chaque goutte compte. »
L’intervention de Naftal : un soulagement fugace
En réponse à la grogne sociale, Naftal a déployé en juin un convoi exceptionnel de 200 camions-citernes depuis le nord du pays vers Tamanrasset. L’opération visait à « juguler la crise et rassurer la population », selon le communiqué officiel.
Mais l’effet n’aura duré que quelques jours. À peine les citernes reparties, les pénuries ont repris de plus belle. Dans les stations, l’attente est redevenue la norme. « Pendant la visite du ministre Abdelhak Saihi. le 25 et 26 juillet, il n’y avait pas de crise. Tout semblait réglé. Dès qu’il est parti, tout s’est écroulé à nouveau », lâche, désabusé, un habitant.
La gravité de la situation s’explique par une série de défaillances. Les difficultés logistiques et l’éloignement de Tamanrasset sont aggravés par la contrebande vers le Mali et le Niger. Des réseaux organisés détournent une partie significative des stocks, alimentant les marchés parallèles au détriment des citoyens.
Mais l’autre volet de la crise est humain. Faute de plan d’urgence structuré, de contrôle efficace et de transparence dans la distribution, la population perd confiance. Sur le terrain, les tensions montent. Des altercations éclatent dans les files, malgré la présence renforcée des forces de l’ordre.
Une ville à l’arrêt
La crise du carburant a des répercussions lourdes sur l’ensemble de la vie locale. Taxis, ambulances, camions de livraison, transport scolaire… tout est ralenti ou arrêté. Les chantiers sont suspendus, les produits frais se raréfient, et les prix explosent. Le litre d’huile, le pain, les légumes… tout augmente.
Le tourisme, pilier potentiel de la région, est à l’arrêt. Les visiteurs fuient une ville bloquée, désertée par ses propres habitants à la recherche d’essence dans d’autres communes, parfois jusqu’à
Pour les habitants, les mesures ponctuelles et les discours rassurants ne suffisent plus. « On ne veut plus de solutions cosmétiques, on veut une stratégie nationale pour les régions du Sud », plaide un élu local. Une stratégie qui garantirait l’égalité d’accès, la régulation des flux, et des moyens durables de transport et de stockage.
Tamanrasset ne doit pas être condamnée à survivre dans la pénurie. Il est temps que l’État prenne la mesure de la souffrance d’une population qui, quotidiennement, fait face à un défi digne d’un siège économique.
À Tamanrasset, la pénurie d’essence est bien plus qu’un simple manque de carburant. C’est un symptôme aigu d’un déséquilibre territorial profond, d’une fracture entre le nord et le sud, entre la capitale et ses périphéries. Tant que la question énergétique dans ces régions restera secondaire, le carburant continuera d’être perçu non comme un bien de consommation, mais comme une denrée de survie.