Face à une inflation persistante et à la dégradation du pouvoir d’achat de nombreux ménages, les pouvoirs publics ont opté depuis quelques mois à une politique de plafonnement des prix de nombreux produits de large consommation. Cette mesure, bien qu’orientée vers la justice sociale, révèle de nombreuses limites opérationnelles et économiques et suscite de nombreuses interrogations.
Dans un communiqué rendu public ce samedi, le RCD a estimé que «les tentatives gouvernementales de plafonnement des prix, loin de résoudre les problèmes structurels, se révèlent inefficaces, voire contre-productives ». Un constat qui rejoint celui de certains économistes et acteurs du marché.
Consommateurs : un soulagement relatif
Mise en œuvre par le ministère du commerce depuis 2023/2024, cette politique qui inclut de nombreux produits (les viandes (importées), les légumes secs, le lait, l’huile, le sucre, le pain, le blé, les légumineuses, les fruits et légumes, le riz, la volaille et ses dérivées) a été renforcée récemment pour intégrer d’autres produits, comme le café, la banane, la pomme de terre et la viande locale. Objectif visé par le gouvernement, notamment après le constat de la hausse des prix durant le mois de ramadhan et pendant la fête de l’Aïd : répondre à une urgence sociale en stabilisant les coûts afin de protéger le pouvoir d’achat des citoyens. Une manière aussi de conforter la paix sociale, dans un contexte politique et économique délétères. Pour encadrer cette politique, il s’est appuyé sur plusieurs leviers dont un soutien budgétaire important : plus de 659 milliards de dinars alloués en 2025, ainsi que d’autres mesures complémentaires comme le plafonnement des marges, le contrôle des circuits de distribution et l’affichage des prix. Si elle semble avoir soulagé les ménages, notamment ceux à faible revenus, à travers notamment un meilleur accès aux produits de première nécessité et un ralentissement de l’effet direct de l’inflation sur leurs dépenses, il n’en demeure pas moins que cette mesure de plafonnement charrie quelques effets pervers dont l’apparition parfois de pénuries, la baisse de la qualité de certains produits et la prolifération du marché noir où les mêmes produits sont vendus à prix libre.
Impacts contrastés sur les opérateurs
Sur les opérateurs économiques, l’impact est plutôt contrasté. Autant, elle garantit l’accès à une certaine demande stable pour les produits subventionnés et une visibilité sur les prix pour les commerçants opérant dans un cadre réglementé, autant elle pourrait conduire à un désengagement de certains producteurs et commerçants en raison de la réduction des marges bénéficiaires. De quoi encourager certains à entrer dans le secteur informel pour contourner les contraintes. Ce n’est d’ailleurs pas sans raison que l’Union nationale des paysans algériens (UNPA) a exprimé des préoccupations concernant les effets du plafonnement des prix sur les producteurs locaux. Par exemple, le prix du sachet de lait, fixé à 25 DA, est jugé insuffisant pour couvrir les coûts de production, qui peuvent dépasser 60-70 DA par litre. L’UNPA a suggéré une augmentation modeste du prix du lait et un ciblage des subventions pour garantir une rémunération équitable aux producteurs tout en évitant les abus.
Une économie sous tension
Mais, plus globalement, le plafonnement des prix place à terme l’économie sous tension : outre la création des distorsions dans la chaîne d’approvisionnement, il pèse sur les finances publiques et dissuade certains investisseurs. Tout comme le contournement des règles prive l’État de recettes fiscales et nuit à l’équité concurrentielle. Certains économistes n’ont pas d’ailleurs manqué de mettre en garde contre le risque d’inflation à long terme lié au plafonnement des prix. Ils soulignent que des contrôles insuffisants, la persistance du commerce informel et la spéculation peuvent entraîner une hausse des prix non justifiée, affectant ainsi la stabilité économique du pays. Face à cette perspective, ils préconisent un meilleur ciblage des subventions (en fonction du revenu), la création d’un Conseil de la concurrence, la régulation des marges et l’amélioration de la cartographie du marché et le contrôle numérique des prix. En définitive, selon eux, pour qu’il remplisse pleinement sa fonction sans compromettre l’équilibre du marché, le plafonnement des prix devra être réformé en profondeur : mieux ciblé, mieux contrôlé, et mieux articulé avec une politique industrielle et agricole cohérente. L’enjeu n’est pas seulement de protéger les prix, mais de construire une économie plus juste et plus résiliente.