En rompant avec la langue de bois habituelle, Omar Bertak a utilisé une vidéo tournée au Parlement pour dénoncer un budget reconduit sans vision. Une sortie qui fait écho à un malaise plus profond dans la gestion des comptes publics.
À l’heure où le Projet de loi de finances 2026 arrive au vote, une scène inhabituelle a circulé depuis les coulisses du Parlement. En marge des discussions budgétaires, le député Omar Bertak, élu d’Oum El Bouaghi, a interpellé le ministre des Finances lors d’un échange informel qu’il a filmé avec son téléphone avant de publier la séquence sur sa page professionnelle Tik Tok. Cette prise de parole improvisée, désormais largement partagée, a servi de cadre à un réquisitoire frontal contre la gestion des finances publiques. Bertak y dénonce un budget reconduit “par réflexe”, sans véritable stratégie pour sortir du déficit.
Dès le début de son intervention, il a exprimé son “embarras” face à une approche qu’il juge répétitive et incapable de répondre aux déséquilibres croissants. Selon lui, la reconduction d’un budget déficitaire, appuyée par une présentation “routinière”, traduit une absence de vision économique. Il évoque même un “handicap dans l’économie nationale”, que les responsables peinent désormais à justifier.
Le député a particulièrement insisté sur l’épuisement des outils de stabilisation financière. Le Fonds de régulation des recettes (FRR), autrefois adossé aux excédents pétroliers, serait aujourd’hui vide, ce qui prive l’État de tout levier pour absorber un endettement qu’il situe entre 120 et 130 milliards de dollars (environ 566 milliards de dinars). Ce tarissement, estime-t-il, expose la “sécurité de l’État” à des risques majeurs.
Face à cette situation, Bertak dit avoir transmis au président une proposition de loi visant à revoir le mode de gestion des recettes. Son idée consiste à réduire de 10% les recettes annuelles pour les diriger directement vers l’investissement, dans l’espoir de relancer un cycle économique plus productif.
Des blocages administratifs qui étouffent l’investissement public
Au-delà des équilibres macroéconomiques, Omar Bertak décrit une machine administrative incapable de soutenir l’investissement. Les dépenses d’équipement, selon lui, plafonnent à 4 milliards de dinars, faute d’exécution budgétaire. Il affirme que le Trésor public “ferme en janvier et ne rouvre qu’en juin”, paralysant les décaissements durant près de six mois.
Ce gel administratif provoque des retards systémiques dans les paiements dus aux entreprises chargées des infrastructures publiques. Même après validation par le Bureau d’audit et les maîtres d’ouvrage, les procédures finales du Trésor puis le contrôle des inspecteurs prolongent l’attente d’un mois supplémentaire.
Cette chaîne administrative déficiente entraîne, selon lui, une onde de choc sociale et économique. Le député avance que “la moitié de nos entrepreneurs, ou du moins un tiers, sont en prison” pour émission de chèques sans provision, conséquence directe des retards de paiement de l’État. Les walis, directeurs de wilaya et maîtres d’ouvrage n’appliqueraient plus les pénalités de retard, reconnaissant implicitement leur propre responsabilité dans ces blocages.
Il pointe également une lacune majeure en matière de transparence : 12% du budget, logés sous forme “d’allocations spéciales” au ministère des Finances, resteraient non utilisés, alimentant une “opacité financière” selon ses termes.
Des transferts sociaux mal orientés et coûteux
Le député a aussi élargi son analyse aux transferts sociaux, un poste budgétaire central. Sur les 10 500 milliards de dinars du budget global, dont 5 000 milliards pour les salaires et 5 000 milliards pour les transferts sociaux, il estime qu’une part significative est mal distribuée.
Sur les 2 800 milliards de dinars (14 à 15 milliards de dollars) dédiés spécifiquement aux transferts sociaux, Omar Bertak soutient qu’ils ne profitent pas réellement “au citoyen algérien”, mais surtout à des entreprises en difficulté ou bénéficiant d’un traitement préférentiel. Il cite également les programmes de l’AADL, accusés de capter des crédits publics pour des projets qui tardent à sortir de terre, tout en s’appuyant sur des échéances de remboursement très longues, entre 25 et 30 ans, ce qui pèse mécaniquement sur le déficit.
L’équation fiscale et les 90 milliards de dollars “cachés”
Abordant l’un des points centraux du PLF-les recettes ordinaires -Bertak remet en cause l’idée d’un problème de recouvrement. Pour lui, la véritable difficulté est l’absence de tissu productif solvable. Il avance le chiffre de 90 milliards de dollars d’épargne ou de capitaux dissimulés, qui échappent au système fiscal.
Sa proposition est d’adopter une logique de réconciliation économique : approcher les détenteurs de ces fonds “de la meilleure des manières”, leur offrir des garanties et les encourager à réinjecter ces ressources dans l’économie formelle. Il estime que ces capitaux sont concentrés entre un groupe restreint de personnes -entre 20 000 et 100 000 individus, voire “2 000 par ville” -et qu’ils constituent une “masse d’argent qui handicape l’économie nationale”. Il compare cette stratégie à celle utilisée en Russie pour rapatrier les capitaux privés.
Un contrat social sous pression et une jeunesse en impasse
Pour conclure son analyse, Omar Bertak élargit la focale. Il estime que la fracture sociale s’aggrave et que la demande de bien-être progresse plus vite que la capacité de l’économie à y répondre. L’Algérien d’aujourd’hui, dit-il, ne se satisfait plus des standards des années 1960 et 1970. Il aspire à “la rafahia, la tranquillité et l’assurance”.
Cet écart entre attentes et réalité se matérialise dans le chômage massif des diplômés. Le député parle de titulaires de Master et de Doctorat “sans emploi”, allant jusqu’à évoquer sa propre situation familiale : “J’ai un fils qui me dit : Papa, prépare-toi pour que je fasse la harga.”
Il souligne aussi les disparités régionales, comparant les wilayas de l’intérieur, entre autres Oum El Bouaghi et Guelma, aux grandes villes comme Alger ou Constantine. Une inégalité qu’il juge d’autant plus intolérable qu’elle touche des “régions de martyrs et de moudjahidine”.
Sa conclusion prend la forme d’une image forte, mêlant infrastructure et santé publique : “Nous ne devons pas attendre qu’un bus tombe dans l’Oued El Harrach pour renouveler le parc des transports, ni que des enfants meurent dans les hôpitaux à cause de la rage pour développer la santé publique.”





