Depuis le début de l’année 2025, le marché algérien de la pomme de terre connaît une phase charnière. Entre une production record, des décisions politiques audacieuses et des tensions sur les prix, ce tubercule, très apprécié en Algérie, se retrouve au cœur des enjeux agricoles et sociaux du pays.
Avec plus de 6 millions de tonnes récoltées lors de la campagne 2024-2025, l’Algérie confirme sa place de deuxième producteur africain de pomme de terre. Les wilayas de Mostaganem, El Oued, Chlef, Bouira ou encore Mascara ont bénéficié de conditions climatiques favorables et de techniques culturales améliorées, avec des rendements dépassant parfois les 350 quintaux à l’hectare.
Cependant, derrière ces chiffres encourageants se cache une réalité plus contrastée : des prix de détail très fluctuants, une chaîne de distribution sous tension et des décisions politiques qui suscitent autant d’espoirs que d’inquiétudes.
Une ouverture à l’exportation qui change la donne
Le 1er août 2025, l’Union générale des commerçants et artisans algériens, bureau de la wilaya d’El Oued, a annoncé l’ouverture de l’exportation de la pomme de terre vers le marché tunisien. Les premiers volumes ont déjà quitté les entrepôts d’El Oued par voie terrestre. Cette décision vise à valoriser les excédents de production et à dynamiser une filière souvent paralysée par la surabondance saisonnière. La Tunisie, en déficit structurel, constitue un débouché naturel et important.
Parallèlement à cette ouverture, une autre mesure a suscité de vives réactions : l’interdiction pour les producteurs et collecteurs de stocker leurs pommes de terre dans les chambres froides. Officiellement, cette règle vise à empêcher les pratiques spéculatives consistant à retirer la marchandise du marché pour provoquer une hausse artificielle des prix.
Sur le terrain, cette mesure divise. Certains soutiennent la volonté des autorités de protéger le pouvoir d’achat des consommateurs. D’autres, notamment parmi les agriculteurs, craignent que l’absence d’options de stockage efficaces ne les contraigne à vendre à perte en période d’abondance ou à voir leurs stocks se détériorer.
Le précédent des œufs : une leçon à méditer
Le débat s’est amplifié après la flambée soudaine des prix des œufs, consécutive à la libéralisation de leur exportation. Dans certaines villes, les prix à la consommation ont atteint jusqu’à 25 DA l’unité, alimentant de vives inquiétudes sur la souveraineté alimentaire.
Dès lors, une question se pose avec insistance : la pomme de terre connaîtra-t-elle une évolution comparable ? La combinaison de l’exportation et de l’interdiction de stockage pourrait réduire l’offre locale dès la fin de l’été, période de soudure où les prix risqueraient de repartir à la hausse, comme ce fut déjà le cas en 2022 et 2023.
Entre promesses économiques et risques sociaux
Pour les professionnels, l’exportation est indispensable : elle valorise la production, assure un revenu aux agriculteurs et développe des filières exportatrices à forte valeur ajoutée. Pour les consommateurs, surtout les plus modestes, toute hausse des prix est une source d’inquiétude.
Face à cette tension, le gouvernement multiplie les initiatives : fixation de prix plafonds (75 DA/kg sur certains marchés), multiplication des ventes directes en partenariat avec l’ONILEV, et contrôle renforcé pour lutter contre la spéculation et les circuits parallèles.
Mais ces mesures suffiront-elles à contenir les tensions ? L’expérience des œufs montre que les marchés peuvent réagir rapidement et de façon imprévisible face à tout signal annonçant une pénurie. La filière pomme de terre, en pleine mutation, devra faire ses preuves dans ce contexte délicat.
2025, un tournant pour l’agriculture algérienne
L’année 2025 pourrait marquer un tournant majeur. L’exportation ouvre de nouvelles perspectives économiques, mais elle appelle une régulation fine et équilibrée, au bénéfice de tous les acteurs. Entre l’ambition de s’imposer à l’international et la nécessité impérieuse de protéger les consommateurs, le défi du juste équilibre reste entier.