La pomme de terre, aliment de base des Algériens, connaît cette année une production exceptionnelle. Dans la wilaya d’El-Oued, la récolte attendue dépassera les 10,5 millions de quintaux, sur une superficie de 35 000 hectares cultivés, soit une augmentation de 2 000 hectares par rapport à l’an passé.
Cette progression est le résultat des mesures prises par les autorités pour soutenir la filière. Pourtant, derrière ce succès agricole apparent, la chute des prix menace sérieusement l’avenir des producteurs.
Dans des marchés comme celui d’Aflou, la pomme de terre se vend aujourd’hui à seulement 25 DA le kilo, un prix insuffisant pour couvrir les coûts de production. Mohand, commerçant local bien connu, explique :
« Nous recevons des camions pleins chaque jour, les prix baissent constamment. Pour le consommateur, c’est une bonne nouvelle ; pour l’agriculteur, un désastre. »
Cette situation met en lumière une équation difficile : produire davantage pour voir les prix s’effondrer, au grand désarroi des paysans.
Une production massive portée par El-Oued
La wilaya d’El-Oued irrigue le paysage agricole algérien. Avec près de 45 % de la production nationale, cette région s’est imposée comme un pilier de la filière pomme de terre. Le rendement moyen y oscille entre 300 et 350 quintaux à l’hectare, un chiffre élevé qui témoigne de la qualité des terres et des techniques agricoles employées.
Ce phénomène est favorisé par l’expansion des surfaces cultivées, notamment dans des communes comme Hassi-Khelifa, Reguiba ou Taghezout. L’exploitation de ces zones est également facilitée par des dispositifs étatiques visant à réguler la production et à préserver le pouvoir d’achat du citoyen, mais qui entraînent parfois des pénuries et des augmentations soudaines.
Le piège des prix bas
Cependant, cette prospérité agronomique cache une dure réalité économique. Le coût élevé des intrants — semences, engrais, irrigation — ainsi que celui de la main-d’œuvre pèsent lourdement sur les finances des agriculteurs.
Un producteur explique : « J’achète les semences à 120 DA le kilo, la main-d’œuvre est rare et coûteuse, et avec un salaire mensuel d’ouvriers pouvant atteindre 50 000 DA, l’investissement devient difficile à rentabiliser. »
Le résultat est une compression drastique des marges, où les agriculteurs se retrouvent parfois à peine capables d’amortir leurs dépenses. La chute des prix, accentuée par la surproduction, fait craindre un exode des producteurs vers d’autres cultures, compromettant la pérennité de cette filière clé.
Crédit à taux zéro pour renforcer la chaîne du froid
Face à ce défi, l’État algérien a mis en place un dispositif de crédits à taux zéro destiné à la réalisation de chambres froides, afin d’améliorer le stockage des produits agricoles. Ces crédits, d’un montant pouvant atteindre 150 millions de dinars, s’adressent principalement aux petits et moyens agriculteurs, pour lisser l’offre sur plusieurs mois et limiter les fluctuations de prix.
Cette mesure a été saluée comme une avancée majeure, répondant aux instructions présidentielles de renforcer la chaîne du froid et d’améliorer la commercialisation dans le secteur agricole. Six banques publiques ont signé des accords avec le ministère de l’Agriculture pour mettre en œuvre ce plan.
La menace persistante de la spéculation
Cependant, malgré ces efforts, la spéculation illégale reste un fléau important. En 2025, plusieurs cas de stockage illicite de pommes de terre en grande quantité, destinées à manipuler les prix, ont conduit à des condamnations sévères.
L’exemple le plus marquant est celui d’un individu condamné à 15 ans de prison ferme à Khemis El Khechna (Boumerdès), pour avoir détenu près de 150 tonnes de pommes de terre destinées à alimenter un réseau de spéculation. Ces affaires, de plus en plus médiatisées, illustrent que la spéculation demeure un frein majeur à la stabilité des prix et au juste revenu des producteurs.
Entre défis et opportunités
Malgré les difficultés, la filière pomme de terre en Algérie possède un potentiel de croissance indéniable. L’expansion aux terres céréalières irriguées après la moisson du blé pourrait augmenter significativement la production, assurant l’autosuffisance alimentaire et même des débouchés à l’exportation.
Ces perspectives, combinées à la modernisation continue des pratiques agricoles et à un soutien étatique renforcé, offrent un horizon encourageant pour cette culture vitale, essentielle à l’économie nationale et à la nutrition des Algériens.