Le Parlement algérien a adopté mercredi 24 décembre une proposition de loi permettant de retirer la nationalité algérienne dans des cas jugés “exceptionnels”. Un texte qui divise profondément juristes et observateurs, certains dénonçant une dérive autoritaire, d’autres un manque de rigueur juridique.
L’Assemblée populaire nationale a voté le texte lors d’une séance plénière présidée par Brahim Boughali, en présence de la ministre des Relations avec le Parlement, Nadjiba Djilali. Officiellement, cette modification du code de la nationalité vise à “adapter le cadre juridique aux dispositions de la Constitution et aux engagements internationaux”. Dans les faits, elle introduit une mesure qui, bien qu’annoncée comme “exceptionnelle”, élargit les motifs de déchéance : atteinte à la sécurité de l’État, allégeance à une puissance étrangère, collaboration avec des “parties hostiles”, ou encore adhésion à des groupes terroristes ou subversifs.
Pour le sociologue Nacer Djabi, c’est du “populisme” dans sa version algérienne, “hostile aux libertés”. L’avocat Saïd Zahi parle d’un “abandon” de responsabilité de la part des juristes qui se taisent. Abdelaziz Rehabi, ancien ministre, pointe, quant à lui, un “décalage” avec les standards internationaux et la tradition algérienne post-indépendance. Trois visions, un même malaise : cette loi interroge autant sur sa légitimité que sur son opportunité.
Un texte né de l’actualité plus que de l’urgence nationale
Rehabi le dit dans une tribune publiée sur son compte Facebook : cette proposition obéit davantage à la conjoncture qu’à une nécessité structurelle. Elle arrive dans le sillage des affaires Boualem Sansal, l’écrivain arrêté en Algérie, et Ferhat Mehenni, figure du mouvement autonomiste kabyle. Deux dossiers médiatiques, deux noms régulièrement évoqués dans le débat public, élevés selon l’ancien ministre “au rang d’urgence nationale”. Pour lui, c’est précisément ce que ces individus cherchent : une publicité internationale servie sur un plateau par la mobilisation institutionnelle algérienne.
L’argumentaire officiel se veut pourtant rassurant. Le texte ne concernerait que des “cas rares et avérés”. Mais cette formule, volontairement vague, laisse une marge d’interprétation considérable. Qu’est-ce qu’une “atteinte délibérée aux intérêts supérieurs de la patrie” ? Qui définit ce qui relève de la “collaboration avec des parties hostiles” ? Dans un contexte où la liberté d’expression est déjà sous pression, où l’article 87 bis du code pénal criminalise certaines opinions, l’inquiétude n’est pas théorique.
Saïd Zahi, dans un post percutant, interroge le silence de la communauté juridique algérienne. “À quoi servent des centaines de milliers de professeurs de droit, des armées d’avocats, de juges, s’ils restent tous silencieux face à un projet qui déchoit les Algériens de leur nationalité ?”. Pour lui, ce mutisme équivaut à une complicité. Le droit, rappelle-t-il, doit protéger les citoyens, pas les effrayer. Or cette loi transforme la citoyenneté, censée être un lien fondamental et inaliénable, en instrument de contrôle politique.
Une rupture avec la tradition post-indépendance
Rehabi rappelle un fait historique significatif : après 1962, les autorités algériennes n’ont pas déchu de leur nationalité les dizaines de milliers de harkis, ces Algériens ayant combattu aux côtés de l’armée française. Elles leur ont imposé des restrictions -interdiction de retour, refus de documents d’identité-mais sans toucher à leur nationalité d’origine. “L’État renaissant avait conscience des priorités et privilégiait la préservation de l’ordre public et la cohésion nationale”, écrit-il.
Cette comparaison souligne que même dans un contexte de sortie de guerre coloniale, avec des blessures encore vives, le pays n’a pas franchi cette ligne rouge. Aujourd’hui, en temps de paix relative et dans un contexte international où la déchéance de nationalité d’origine est considérée comme une mesure extrême, l’Algérie s’engage sur un terrain juridiquement fragile.
Djabi résume : c’est du populisme de droite. Autrement dit, une législation qui flatte les pulsions sécuritaires et nationalistes sans apporter de réponse concrète aux défis réels du pays. Zahi va plus loin : étouffer les libertés ne renforce pas l’État, cela ne fait que reporter les crises et approfondir les tensions. “Un État fort ne se construit pas par la peur ni par des lois répressives, mais par la confiance, la justice et le respect des droits fondamentaux”, écrit-il.
Le gouvernement lui-même a exprimé publiquement ses réserves sur ce texte, qui émane d’une initiative parlementaire et non de l’exécutif. Signe que même au sein de l’appareil d’État, tous ne sont pas convaincus de l’utilité ou de la légalité de cette mesure.