Portugal : fin de la régularisation pour les sans-papiers algériens

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D’un clic à l’impasse : comment le Portugal a brisé le rêve de milliers d’Algériens

Par Djaffer Ouigra
23 septembre 2025
La "Manifestação de Interesse" du SEF portugais : cette simple plateforme en ligne a permis à des milliers de sans-papiers d'obtenir un titre de séjour au Portugal entre 2019 et juin 2024. Sa fermeture brutale a plongé la diaspora algérienne dans l'incertitude.

Ils étaient des milliers à avoir trouvé dans la plateforme portugaise de régularisation une porte d’entrée vers l’Europe légale. Depuis juin 2024, cette voie s’est fermée, plongeant la diaspora algérienne dans l’incertitude. (Reportage)

Ali pose son téléphone sur la table d’un café parisien. L’écran affiche encore la page d’accueil de « Apresentar a manifestação de interesse », cette plateforme portugaise qui a changé sa vie. « Aujourd’hui, elle ne fonctionne plus », lâche ce jeune Algérien de 28 ans, arrivé en France fin 2023.

Pendant des années, le Portugal avait ouvert une voie royale aux sans-papiers. Un simple clic sur cette plateforme en ligne, un casier judiciaire, une preuve d’entrée – parfois un simple ticket de bus suffisait – et douze mois de travail déclaré : la recette paraissait magique pour obtenir un titre de séjour européen.

« C’était vraiment la solution la plus tangible », se souvient Ali, qui a quitté l’Algérie il y a deux ans avec sa femme. « À cette époque, il suffisait de s’inscrire, de présenter les documents demandés et ses fiches de paie. C’était facile et efficace, loin des arnaques qu’on trouve ailleurs. »

Fermeture brutale, désarroi immense

Le rêve a volé en éclats le 3 juin 2024. Ce jour-là, le gouvernement portugais annonçait la fermeture définitive de sa plateforme, invoquant un afflux migratoire devenu ingérable pour ce pays de 10 millions d’habitants. Des milliers d’Algériens, de Marocains et de Sénégalais installés à Lisbonne ont soudain vu leur avenir basculer.

Mouloud en fait partie. Ce jeune Kabyle de 25 ans avait rejoint le Portugal en 2022, après un passage clandestin par l’Espagne. « J’ai travaillé plus d’un an sans papiers. Ma procédure a pris du temps parce que je n’avais pas de visa prouvant mon entrée légale en Europe », explique-t-il par téléphone depuis Porto. Chanceux, il a obtenu son titre de séjour de deux ans au début de 2025, quelques mois avant la fermeture totale. « Mais pour ceux qui sont arrivés après, c’est devenu mission impossible. »

L’Europe se ferme, métier par métier

Au-delà du Portugal, c’est toute l’Europe qui durcit le ton. En Espagne, en Italie, en France, les critères de régularisation se resserrent, les procédures s’allongent, les refus se multiplient. Même dans les secteurs en tension, les sans-papiers voient leurs demandes bloquées.

Kamal en sait quelque chose. Ce commerçant de 34 ans, installé au Portugal depuis plus de deux ans, a vécu l’enfer administratif : « J’ai fait la queue pendant plus de 24 heures devant l’ambassade algérienne pour obtenir un casier judiciaire. Mais même avec tous les documents, rien n’est garanti. Le renouvellement n’est jamais assuré. Tu peux même être déchu de tes droits du jour au lendemain, sans explication. »

En France, la situation des Algériens s’est particulièrement tendue depuis 2025. Les tensions diplomatiques entre Alger et Paris rejaillissent sur les demandes de régularisation. Ghiles, technicien dans la fibre optique installé en région parisienne depuis 2017, en témoigne : « J’ai cinq ans de fiches de paie dans un métier en tension. Mais j’ai vu des amis, dans le même cas, recevoir une OQTF après avoir déposé leur dossier. Ils avaient pourtant travaillé 27 mois dans des secteurs qui recrutent. » Résultat : il n’ose toujours pas déposer sa demande. « Dans ces conditions, tu dois tout recommencer à zéro. C’est trop risqué. »

Les accords de 1968 relégués aux oubliettes

Cette méfiance trouve ses racines dans l’effritement progressif des protections historiques. Les accords franco-algériens de 1968, qui facilitaient l’accès au séjour et au travail pour les Algériens, semblent de plus en plus lettre morte.

« Sur le papier, ces accords existent toujours. Dans la réalité, on se sent discriminés », confie Rachid, mécanicien en banlieue lyonnaise depuis dix ans. Les associations spécialisées confirment : les taux de refus de visas pour les demandes algériennes atteignent des records cette année.

L’Europe, qui jouait autrefois la carte de l’intégration, multiplie désormais les mesures de dissuasion : expulsions accélérées, restrictions d’accès aux aides sociales, quotas implicites de régularisation.

Le business de l’irrégularité prospère

Dans ce contexte bouché, un marché noir s’épanouit. Mariages blancs facturés entre 15 000 et 20 000 euros, faux titres de séjour vendus jusqu’à 10 000 euros, arnaques en cascade : les réseaux mafieux prospèrent sur la détresse des sans-papiers.

« Quand tu n’as plus d’espoir légal, tu commences à écouter n’importe quoi », admet Karim, livreur à Marseille depuis trois ans. « Des gars te proposent des solutions miracle contre de l’argent. C’est tentant quand tu vis dans l’angoisse permanente. » Mais les risques sont énormes : poursuites judiciaires, expulsions définitives, exploitation par les réseaux. « C’est un piège », reconnaît-il. « Mais parfois, on a l’impression que c’est la seule issue. »

« Un double exil »

Face à ces impasses, les Algériens d’Europe expriment un sentiment de « double exil ». Abandonnés par les États européens qui ferment leurs portes, ils se sentent également délaissés par leurs propres représentations diplomatiques. « On est pris entre deux feux », résume Mouloud depuis le Portugal. « L’Europe nous rejette, mais l’Algérie ne nous aide pas non plus. Nos consulats font le minimum syndical. »

Cette amertume n’empêche pas les départs de continuer. Chaque semaine, des embarcations quittent les côtes algériennes vers l’Espagne ou l’Italie. Les candidats à l’exil partent avec l’illusion persistante d’un avenir meilleur, malgré les témoignages de plus en plus sombres qui leur parviennent.

L’heure des comptes

La fermeture de la plateforme portugaise marque symboliquement la fin d’une époque. Celle où l’Europe offrait encore des voies légales d’intégration aux sans-papiers, notamment algériens. « Maintenant, c’est le règne de l’arbitraire total », conclut Ali dans ce café parisien. « Tu peux avoir tous les papiers du monde, parler français, travailler depuis des années, rien ne garantit que tu pourras rester. »

L’Europe a changé de cap : de l’intégration vers la fermeture. Pour les milliers d’Algériens en situation irrégulière, l’avenir s’annonce de plus en plus sombre, coincés entre l’espoir d’une régularisation et la réalité d’une exclusion grandissante.

Une génération entière se retrouve ainsi piégée dans un limbe administratif, où chaque renouvellement de titre devient un parcours du combattant, et où l’horizon de la stabilité s’éloigne chaque jour un peu plus.

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